À l’occasion des 2èmes universités d’été du conseil national consultatif des personnes handicapées à la Bibliothèque Nationale de France, entretien du 21 septembre 2021 avec Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) : accessibilité audiovisuelle et représentation des handicaps, quelles perspectives ?
Jérémie Boroy : Bonjour, Monsieur le Président du CSA. Merci pour cet entretien dans le cadre des universités d’été du CNCPH qui ont démarré hier. Le CNCPH ne vous découvre pas, puisque le CSA a engagé depuis de longues années une vraie collaboration avec les associations et le CNCPH. On voulait aujourd’hui revenir sur des questions qui mobilisent les associations et la commission culture du CNCPH, comme la commission accessibilité. Il y a d’énormes efforts qui ont été réalisés ces dernières années par les médias audiovisuels, pour que les programmes et les contenus soient accessibles à davantage de public, avec notamment le sous-titrage, l’audiodescription, un peu plus de contenus qui sont accessibles en langue des signes. Mais dans le même temps, les usages ont évolué. On consomme la télévision de façon très différente qu’il y a 10 ou 15 ans. Il y a de nouvelles contraintes qui viennent compromettre la vie quotidienne des personnes. Est-ce que c’est une fatalité ? Est-ce qu’on peut arriver à faire progresser les choses ?
Roch-Olivier Maistre : Merci beaucoup de votre invitation cher Jérémie. Vous savez que le Conseil apprécie nos échanges qui sont réguliers et vous serez vous-même auditionné très prochainement par le Conseil. Dans la régulation du paysage audiovisuel, depuis l’origine, le législateur a toujours considéré que les médias audiovisuels avaient des responsabilités à l’égard de la société et des devoirs. C’est un volet sur le sociétal, de la régulation, qui s’est beaucoup développé ces dernières années.
Aujourd’hui, on est dans une phase de transformation spectaculaire des usages. Il y a en moyenne six écrans par foyer. La période que j’ai connu dans mon enfance lointaine, on regardait la télévision, en famille, dans le salon. Ce n’est pas une période révolue, mais en grande partie. On a l’ordinateur, la tablette, les smartphones. Dans les foyers, les regards sur les contenus audiovisuels se font de façon différente. On a également de nouveaux vecteurs. On diffuse la télévision par voie hertzienne, mais aussi par le câble et le satellite. Mais de plus en plus par Internet.
On a de nouveaux acteurs très puissants et présents, notamment les plates-formes vidéos par abonnement. Au regard de cette transformation spectaculaire, il faut que le régulateur s’adapte, qu’il se transforme, qu’il utilise des méthodes nouvelles pour mieux appréhender tous ces usages et nouveaux formats et nouveaux usages. On a beaucoup de transformations législatives qui sont en cours actuellement. Vous savez le CSA va disparaître. Au 1er janvier de l’année prochaine, il n’existera plus. Il s’appellera l’ARCOM, pour montrer que notre champ de compétence s’étend à la sphère digitale. Ce sera une fusion entre le CSA et l’autorité en lutte contre le piratage. Pour mieux appréhender tous ces périmètres. Pour essayer de progresser sur les sujets qui vous préoccupent, on a toujours un peu deux voies : la voie coercitive, la norme, le décret. Et la voie qui s’est beaucoup développée ces dernières années, c’est une voie plus collaborative, ce qu’on appelle en droit le droit souple. Ce sont des outils à nouveau, notamment les chartes, qui ont l’avantage de prendre la forme d’engagement volontaire que prennent les acteurs. On ne leur tord pas le bras, mais on dit qu’on a un sujet devant nous et comment est-ce qu’on peut tous progresser ensemble. On a beaucoup développé cet outil. Sous l’égide d’Édouard Philippe, on a signé une nouvelle charte intéressante, sur les problématiques d’accessibilité aux personnes handicapées aux médias, mais aussi de la représentation des personnes handicapées dans les médias. C’était il y a un peu moins de deux ans. On a publié il n’y a pas très longtemps un guide sur l’audiodescription de qualité. Qui sont des outils que nous bâtissons avec vous, avec les médias et on essaie de mettre tout le monde autour de la table. C’est aussi comme ça qu’on va progresser. Il ne faut pas négliger la contrainte. Il y a des obligations qui sont utiles.
J’ai évoqué les plates-formes vidéo par abonnement qui se développe. Il faut que ces plates-formes, les SMAD, puissent offrir l’accessibilité dans de bonnes conditions. On est en train de négocier avec eux des conventions. Cette dimension c’est dans le prolongement d’une directive européenne, qui a été transposé dans notre droit en décembre 2020. Cela va nous permettre, j’espère, d’enregistrer des progrès en termes de meilleure accessibilité à ces programmes.
Jérémie Boroy : Les chartes que vous évoquez, celle sur la qualité du sous-titrage, sur la qualité de la langue des signes, de l’audiodescription, elles vont pouvoir plus facilement que par le passé faire l’objet d’échanges avec les chaînes ?
Roch-Olivier Maistre : C’est l’ambition qui est la nôtre, avec un levier que nous utilisons de façon systématique, qui est l’opinion publique. Ces outils sont très utiles, parce qu’ils permettent de mobiliser les acteurs sur une base volontaire. Dans un partenariat intelligent avec vous, avez les associations. Si on veut que ces outils soient efficaces, il faut qu’il y ait un rendez-vous périodique devant les Français pour dire ce qui se fait, ce qui se fait de bien et souligner les points de faiblesse, les points sur lesquels on n’avance pas. Vous êtes un observateur très attentif du secteur, vous savez qu’à la Cour des Comptes, on a encore des marges de progression. Nous on le mesure à travers un baromètre que vous connaissez, le baromètre de la diversité. Une de nos missions, c’est de veiller à ce que les médias donnent une juste représentation de la diversité de la société française. Sur la représentation des personnes en situation de handicap, on a encore de très gros progrès à faire.
Il y a une prise de conscience. Le service public, par nature, est peut-être plus réactif. Il y a des acteurs privés du secteur qui sont également en initiative et en mouvement. Mais c’est presque un combat quotidien. C’est important d’avoir ces rendez-vous périodiques, avec vous, et de pouvoir venir devant les Français. Il faut que l’opinion publique fasse pression sur ces acteurs.
Jérémie Boroy : Il y a moins de 1 % des personnes handicapées visibles à l’écran. Il y a quelques jours, l’équipe de France, qui était partie à Tokyo pour les Jeux paralympiques et qui est revenue avec beaucoup de médailles, avec une belle place au classement. Avez-vous eu l’occasion de voir que pendant ces Jeux, il y a eu une meilleure mobilité que par le passé ?
Roch-Olivier Maistre : On a assisté à des moments sportifs remarquables, avec des athlètes formidables. Tous les Français qui ont regardé ces images ont été vraiment frappés. Il y a eu une espèce d’adhésion à ce mouvement très forte. C’est formidable, cet engouement qui a entouré nos athlètes pendant la compétition. On avait fait une mobilisation avec l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel avant ces Jeux, pour que tout le monde soit partie prenante, pour progresser aussi dans l’expression, dans les mots, pour nommer de façon juste. Ce sont des athlètes comme les autres. L’expression paralympiques me paraît plus appropriée. On a quand même enregistré des succès de diffusion, de durée de diffusion et d’audience qui étaient intéressants. France Télévisions a diffusé 7 heures par jour. L’équipe TV a diffusé deux heures par jour, avec des reportages de très grande qualité. Une partie des Français ont découvert les Jeux paralympiques. C’est un vrai succès pour la visibilité et pour l’unité de notre société.
Jérémie Boroy : Pour 2024, pour les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques à Paris, que peut-on faire pour que chaque Français soit incollable sur les Jeux paralympiques ?
Roch-Olivier Maistre : Ce ne sera pas juste rendez-vous tous les quatre ans. Ce qui me paraît utile, c’est de faire un retour d’expérience avec les médias et de voir les expériences qu’on peut en retirer. Je crois qu’ils ont été très satisfaits et heureux. Pour les éditeurs de chaînes de télévision, il y a une fierté de retransmettre cet événement. Il faut construire avec eux la couverture de 2024. Il y a ce qui va entre 2021 et 2024. Il ne faut pas simplement qu’il y ait un événement spectaculaire autour des Jeux. Il faut que dans l’année, régulièrement, qu’on accompagne les athlètes, qu’on les suive dans leur parcours de progression et qu’on voie le résultat en 2024. L’ambition, c’est de rentrer dans une quotidienneté de couverture de ces événements, et pas que dans l’exceptionnel.
Jérémie Boroy : Avant 2024, Il y a d’abord 2022, avec des rendez-vous électoraux les élections présidentielles et législatives. La loi pour l’organisation des élections du Président de la République a récemment évoluer pour préciser que les candidats devaient veiller à l’accessibilité de leur campagne et a confié au CNCPH la mission de diffuser des recommandations. On sait aussi qu’en matière d’accessibilité des campagnes il y a la responsabilité des candidats, mais aussi des médias. Des médias parce que certains relaient la campagne officielle, et d’autres parce qu’ils prennent une part active dans l’organisation des débats, dans l’expression citoyenne. Comment on peut faire pour qu’en 2022, pour que tous les citoyens, quelles que soient leurs contraintes d’accès à la communication, puissent participer pleinement aux débats et faire leur choix comme n’importe quel citoyen ?
Roch-Olivier Maistre : C’est un enjeu d’égalité des français devant l’élections. C’est un rendez-vous très important pour nous, parce que chaque élection fait peser sur le Conseil une responsabilité très forte. On a la mission de veiller à ce que le pluralisme, l’égalité et l’équité entre les candidats soient bien préservés. On est en train de travailler sur les règles qui vont encadrer ces élections en termes de couverture médiatique. Notamment avec les règles de respect du pluralisme.
Nous y travaillons en ce moment. On est en consultation avec le Conseil constitutionnel. On publiera au courant du mois d’octobre, nos recommandations pour l’élection présidentielle. Pour l’organisation de la campagne officielle, il y a des clips que les candidats sont amenés à diffuser. Le CSA organise les modalités de cette diffusion. L’élément central, c’est de veiller à ce que l’ensemble des clips de campagne soient traités par le sous-titrage et l’utilisation de la LSF de la même façon pour que chacun puisse connaître les engagements de campagne.
Nous allons y travailler ensemble Jérémie. Nous allons avoir un dialogue sur ce sujet. Nous allons pouvoir échanger avec chacun des candidats pour être très vigilants sur ce point. Et dans nos échanges avec les médias, nous allons mettre fortement l’accent, on le met aussi vis-à-vis du pouvoir exécutif. Nous avons souligné combien la retransmission des discours en LSF était une grande attention.
Nous-mêmes, ce matin, on faisait une présentation au CSA de notre nouveau rapport annuel sur la lutte contre les fausses informations. Il y avait un intervenant qui était là pour permettre que tout le monde puisse avoir accès à nos propos dans des conditions d’égalité. C’est un chantier pour nous. Ce sera un chantier de l’automne. Ce sera un motif d’échanges supplémentaires avec vous, Jérémie.
Jérémie Boroy : Merci beaucoup, vous pouvez compter sur la disponibilité du CNCPH pour cela.
Roch-Olivier Maistre : Pour nous, vous êtes non seulement un partenaire de confiance et de dialogue régulier, mais sans vous, on ne peut pas y arriver. On a vraiment besoin de vous, des associations.
Dans notre dialogue avec les médias, le fait de vous avoir en permanence à nos côtés, de nous stimuler aussi, cela nous permet de progresser. J’insiste sur cette idée d’avoir très régulièrement ce rendez- avec les Français, de dire où on en est. On voit qu’on peut le faire, que nous pouvons progresser.
Merci beaucoup de votre invitation.