À l’occasion des 2èmes universités d’été du conseil national consultatif des personnes handicapées à la Bibliothèque Nationale de France, table ronde du 22 septembre 2021 : les dispositifs spécialisés pour enfants doivent-ils relever de l’Éducation Nationale ?
Avec la participation de : Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) au Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports ; Caroline Desombre, professeur des universités à l’université de Lille ; Olivier Paolini, enseignant spécialisé et président d’un collectif citoyen pour l’inclusion ; Isabelle Olivier et Anne Gautier, fondatrices du collectif Handi-Actif France ; Emmanuel Guichardaz, assesseur de la commission Éducation, scolarité, enseignement supérieur et coopération entre éducation ordinaire et éducation adaptée du CNCPH.
Animation : Marie-Pierre Toubhans, présidente de la commission Éducation, scolarité, enseignement supérieur et coopération entre éducation ordinaire et éducation adaptée du CNCPH.
Marie-Pierre Toubhans : Chers internautes, chers amis, bonjour pour cette seconde table ronde qui va aborder des questions d’éducation et plus particulièrement qui va s’interroger pour savoir si les dispositifs spécialisés pour enfants doivent relever ou non de l’éducation nationale. Pour débuter, je vais vous présenter nos intervenants, nos invités qui sont sur le plateau. Tout d’abord, elle sera avec nous à distance, Caroline Desombre. Vous êtes professeur de psychologie sociale, enseignante à l’INSPE de Lille, bienvenue parmi nous. Je vais ensuite présenter et me tourner vers Anne Gautier et Sandrine Eiffermann, qui sont fondatrices du collectif Handi-Actif. Ensuite, Édouard Geffray qui est à mes côtés en tant que directeur général de l’enseignement scolaire. Emmanuel Guichardaz, assesseur de la commission éducation-scolarité est également sur le plateau pour rapporter les travaux et intervenir sur ces questions. Et enfin, Olivier Paolini, vous êtes enseignant spécialisé depuis 16 ans, j’ai le droit de le dire, fondateur d’un collectif citoyen pour l’inclusion et vous travaillez aujourd’hui en unité d’enseignement externalisée si je n’ai rien omis dans votre présentation. La discussion que nous allons avoir autour de cette table ronde est vraiment située sur la question de l’école inclusive et de la façon d’y parvenir, d’interroger les différents modes de scolarisations qui peuvent exister aujourd’hui, d’interroger évidemment tous les dispositifs de l’école que l’on connaît parfois plus souvent : unité localisée d’inclusion scolaire, pôle d’enseignement des jeunes sourds par exemple, d’interroger aussi les unités d’enseignement externalisées, certaines sont spécialisées pour les élèves avec des troubles de l’autisme (UEA, UEMA). On pourrait également parler de scolarisation partagée avec des temps en milieu ordinaire et en établissement. On pourrait également interroger d’autres dispositifs : les DITEP, les DAR etc.
En termes de dispositif, en France, nous avons ce qu’il faut. On en est presque à envisager des dispositifs pour s’y retrouver dans les dispositifs. On va peut-être également évoquer que par rapport à cette problématique de l’école inclusive se pose la question de l’appui et de l’intervention de différents acteurs pour mettre en œuvre le projet de l’élève. On pourrait parler des SESSAD ou l’intervention des professionnels libéraux. On le voit, l’ensemble de ces acteurs relèvent de tutelles différentes : soit de l’éducation nationale ou bien d’établissement ou de service du médico-social des intervenants libéraux qu’on a pu évoquer aussi. Est-ce que c’est réellement une question de tutelle que l’on pose aujourd’hui ? Est-ce que dans un souci de cohérence et d’efficacité, dans une perspective de société inclusive, dans une réponse au code de l’éducation qui rappelle que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser, comment faire pour que l’ensemble de ces dispositifs relèvent de l’éducation nationale, comme cela existe dans d’autres pays européens, mais aussi comme le préconisent les récentes recommandations de l’ONU ? Voilà ce sujet sur lequel un peu bouillonnant sur lequel nous allons échanger. Je vais passer la parole Emmanuel Guichardaz, vous êtes l’assesseur de cette commission éducation-scolarisation, comment le CNCPH aborde ces questions et quelles sont ses recommandations ?
Emmanuel Guichardaz : Rude responsabilité car vous l’avez dit le sujet est complexe. Le CNCPH et la commission éducation scolarité s’est saisi de cette question il y a trois ans, au moment du lancement du chantier sur l’école inclusive. Ce chantier rebattait un peu les cartes. À ce moment-là, on a travaillé à un certain nombre de recommandations. Parmi ces recommandations, il y avait la création d’un ministère unique qui pourrait chapeauter l’ensemble de ces dispositifs pour tous les enfants, quelle que soit la situation de handicap. Au-delà de la question de la tutelle ou du pilote, il y a la question de savoir où sont implantés ces dispositifs, la cartographie. Que font-ils ? Quelles sont leurs missions ? Quelle est la différence aujourd’hui entre une ULIS qui va fonctionner de manière un peu fermée et une unité d’enseignement externalisée qui dépend d’un établissement médico-social, qui est peut-être plus ouverte ? Est-ce que c’est vraiment différent ? Comment les parents vont s’y retrouver ? Comment la MDPH va-t-elle pouvoir véritablement orienter correctement l’enfant en fonction de ses besoins ? Cela devient un peu compliqué. Derrière cela se pose la question des missions et du cahier des charges de chacun et la question du pilotage. Qui le pilote ? Nous en revenons à la question de la tutelle qui doit être exercée et de qui prend les manettes pour donner le cap. Mais il y a aussi beaucoup de conditions qui vont avec ça. Ce n’est pas seulement un changement de tutelle qui va résoudre tous les problèmes. La question de la formation des acteurs, la question des partenariats. Nous pensons au sein de la commission éducation qu’il faut renforcer le partenariat avec les familles. Nous pensons comme cela se fait au sein de certaines académies faire des coopérations et des partenariats entre les rectorats et les agences régionales de santé. Il faut se fixer un cahier des charges et des objectifs à moyen terme pour organiser tout cela sur le terrain et au plus près du terrain. Il faut que l’on puisse, à chaque situation, trouver une solution. Et pour terminer ce premier propos, je dirais qu’il y a une mise en musique de ces dispositifs qui doit se faire au service du projet des jeunes. Le projet de scolarisation ne doit pas être conditionné par l’existence ou les missions de tel ou tel dispositif. C’est l’école qui doit s’adapter à la situation de l’élève et à son projet. Et pas l’inverse. C’est absolument fondamental.
Marie-Pierre Toubhans : Merci. Je vais me tourner vers les fondatrices d’Handi-Actif. À quoi cela vous fait penser ? Quel état des lieux avez-vous pu travailler ? On a parlé de formation, de partenariat, la question des territoires, et une forme de mise en musique. Je vous laisse la partition.
Sandrine Eifferman : Cette question nous donne envie de dire oui. Ces dispositifs devraient être du ressort de l’éducation nationale. Malheureusement aujourd’hui cette question elle nous fait peur. Quand nous sommes un parent qui sait que son enfant en situation de handicap va rentrer à l’école, il y a plein de questions qui se posent. Il est perdu. Les dispositifs sont nombreux et peu connus. Il est difficile de s’y retrouver. Aura-t-il sa place ? L’école va-t-elle mettre les moyens pour l’accueillir au mieux sur le terrain ? Ai-je raison d’y croire ? Vais-je devoir me battre pour faire valoir ses droits ? Nous savons tous que ces peurs sont légitimes aujourd’hui. Ce ne sont pas que des peurs, ce sont des réalités. Et là je vous parle de familles qui savent déjà que leur fils est en situation de handicap. Qu’en est-il lorsqu’il y a en cours de route un accident ou une difficulté ? Peut-on parler d’école de la confiance avec ce sentiment de peur que les familles ont aujourd’hui ? Ma fille est scolarisée. Elle est en situation de polyhandicap. Elle y prend plaisir. Malheureusement moi peut-être, un peu moins. Je me raccroche à son sourire. Quand parlons-nous d’inclusion ? 30 minutes ? Une heure ? Clairement pas. Les dispositifs manquent de moyens. Il est difficile de recruter, que ce soit des AESH ou des enseignants. Les classes sont surchargées. À la rentrée, on ne sait même pas si l’enfant sera rattaché à telle ou telle classe. On ne connaît pas encore l’équipe éducative. Pour moi, fermer une classe alors qu’il y a des enfants en inclusion, ce n’est pas possible cela entraîne des classes surchargées. Et l’architecture aussi, est-ce que l’enfant va pouvoir aller aux toilettes ? Et l’école, ce n’est pas que la classe, c’est la cour de récréation, la cantine, les sorties scolaires, la piscine… Aujourd’hui, ma fille ne peut pas aller à la natation parce que cela n’a pas été pensé, pas anticipé. Et qu’en est-il aussi de ces professionnels qui sont absents ? Comment expliquer à un enfant qui a des besoins de rituel que son enseignant est absent et qu’aujourd’hui c’est un autre ? Tout cela nous pose question. Et aussi, les parents sont perdus. Ils sont vraiment perdus. Qui voir ? Des associations de parents d’élèves ? Mais il n’y a pas de parents comme nous dans les associations de parents d’élèves. On ne se sent pas représenté. Tout cela est complexe. Je termine et je laisserai la parole à Anne. Il est important, je pense, de savoir que l’école doit prendre en compte tout cela et rassurer les familles. Et pour rassurer les familles, moi, ce qui me rassure, c’est de pouvoir parler et échanger avec les enseignants, avec l’équipe éducative, avec l’enseignant référent avec l’AESH, et là j’appuie très fort avec l’AESH. On ne permet pas aux AESH de parler avec les familles. Et ce n’est pas possible, parce que c’est quand même mon enfant, ce sont nos enfants et on les laisse quasiment toute une journée, quand c’est possible, avec des personnes que l’on ne connaît pas.
Anne Gautier : Vous l’avez dit, il faut que l’école s’adapte aux enfants. J’ai un petit texte que j’ai pris sur Facebook, que je vais vous lire. C’est un professeur qui parle. « Une nouvelle élève est arrivée mercredi dans ma classe de sixième. Nous avons eu quelques informations sur ses difficultés. Elle ne sait pas compter au-delà de sept, ne connaît pas son alphabet, ni les jours de la semaine et elle sait coller cinq rangées de gommettes sans se tromper. Question faire que faire comme activité aussi bien en histoire-géo en français ou en anglais ? Elle a un dossier pour avoir une place en structure, mais c’est au petit bonheur la chance tellement il y a des mois ou des années d’attente ». Alors moi je vous pose une question, n’est-ce pas de la maltraitance envers cet enfant qui ne va rien comprendre de tout ce qu’elle va faire pendant la journée et aussi une maltraitance envers les enseignants. Que vont-ils pouvoir faire avec cet enfant ? Ce problème vient de la satanée classe d’âge. Il faudrait que l’éducation nationale s’adapte à nos enfants et qu’elles comprennent que nos enfants ne peuvent pas aller dans les classes de sixième, cinquième, quatrième ou troisième avec un niveau de fin de grande section de maternelle. Il faut faire sauter ce verrou qui freine énormément la scolarisation des enfants dans des classes ordinaires.
Je pense que c’est du ressort de l’éducation nationale de garantir les apprentissages, de donner assez d’heures d’apprentissage dans la semaine à tous ces enfants et d’adapter leur pédagogie à tous ces enfants. C’est très important. Il faudrait que l’Éducation nationale s’ouvre à des méthodes comme Montessori, comme Feuerstein comme Upbraining. Nous savons que cela fonctionne parce que nous organisons parfois des semaines intensives avec ce genre de méthode. Il faudrait tout de même que de plus en plus d’enseignants, notamment dans le primaire, puissent avoir ces outils supplémentaires qui pourraient servir aux enfants en situation de handicap, mais aussi à d’autres enfants en situation d’échec. Cela n’est pas fait et c’est du ressort de l’éducation nationale.
Ce que l’on préconise, parce que l’on sait que ça fonctionne, en Italie, par exemple, c’est le co-teaching. Quand il y a des enfants situation de handicap dans une classe, il faut un professeur classique et un autre professeur qui soit formé sur les différents handicaps. Ce n’est pas la même chose dans sa classe un enfant autiste, il y a différents degrés. Ce n’est pas pareil d’avoir un enfant trisomique ou un enfant avec des problèmes cognitifs ou un enfant avec des problèmes moteurs et cognitifs. Il faut absolument que les enseignants sachent à qui ils ont affaire pour pouvoir transmettre un savoir et ne pas, malgré eux, faire de la maltraitance.
Et il faudrait aussi faire de la place pour le paramédical. Ces enfants en situation de handicap ne sont pas tous pareils. Ils ont besoin de soins et de rééducation. Je parle de quelque chose que je connais bien, c’est le handicap moteur, quelle que soit sa cause. Tout enfant a besoin de rééducation intensive et journalière. Trop souvent dans les écoles, ce sont les échos qui nous reviennent, on n’a même pas la place de mettre une salle ou faire du Snoezelen pour calmer un enfant autiste. On ne remet pas en cause la façon de fonctionner des établissements pour nos enfants en situation de handicap. On n’y arrivera pas s’il n’y a pas cela. On ne voudrait pas que les notifications de la MDPH soient du ressort de l’éducation nationale. On voudrait que la MDPH garde cette prérogative. Il y a eu trop d’abus et ce n’est pas au chef d’établissement de décider combien tel ou tel élève doit avoir d’heures d’AESH.
Je voudrais attirer votre attention sur ces enfants que l’on va mettre à l’école ordinaire ou dans les ULIS. Ceux qui vont être dans les unités externalisées et dans l’école ordinaire, il va falloir qu’ils courent sans arrêt derrière les autres. Vous avez ce que c’est que de courir un marathon sans arrêt, d’être en randonnée, parmi les derniers, de se fatiguer toujours est de ne pas se reposer, parce que les autres partent quand ils arrivent. C’est ça que vont vivre nos enfants. Il faudrait mettre en place des garde-fous dès maintenant. Parce que le chagrin d’école, cela existe pour tous les enfants. Cela existera pour les enfants en situation de handicap qui seront toujours les derniers de la classe, qui seront toujours à la ramasse. C’est cela qui va se passer. Il faut faire attention à l’estime de soi, qui va être abîmée. D’accord ils vont faire des progrès je n’ai pas de doute, mais attention aux dépressions, à l’estime de soi. Il faut renforcer les équipes de psychologues dans les écoles. Et des psychologues formés au handicap. Pas des psychologues généralistes. Tout cela va coûter très cher. Et le harcèlement, évidemment. Les enfants en situation de handicap sont des proies très faciles pour certains élèves qui ont des difficultés autres et qui vont peut-être se venger sur des enfants en situation de handicap.
Et je voudrais dire une dernière chose, c’est que beaucoup de parents d’enfants en situation de polyhandicap sont très inquiets. Ne fermez pas les centres, nous en avons besoin. Les enfants ont besoin de reprendre du souffle. Il y a certains enfants pour lesquels ce ne sera pas possible, l’école ordinaire. Une petite quantité, mais il y en a et il ne faut pas les oublier. Et ces enfants-là, il faut amener l’école dans les IEM. L’inclusion ne se décrète pas, cela se prépare. Il faut amener l’école plus longtemps aujourd’hui dans les IEM et dans les IME ou les enfants n’ont que 3h de scolarité en y mettant l’art plastique et la musique.
Marie-Pierre Toubhans : Merci à vous. On entend vos impatiences et vos colères. On entend aussi vos aspirations. Comment avancer avec cette école inclusive qui est un processus ? Comment placer des étapes et des jalons ? Cette aspiration pour que les élèves en situation de handicap soient des élèves et qu’ils puissent acquérir ce qu’on dit parfois pour d’autres âges toutes les notions du métier d’élève. Vous évoquiez les unités d’enseignement externalisé. Je me tourne vers Olivier Paolini. Quelles sont vos réactions à cette idée de transférer les moyens des établissements vers l’éducation nationale ? Comment est-ce que cela peut se faire ? Quelles sont les ressources qui peuvent exister ? À partir de votre expérience de votre réflexion, quelle proposition pouvez-vous être amené à faire ?
Olivier Paolini : Je voulais d’abord dire à madame que je suis entièrement d’accord avec vous. C’est la pédagogie et la didactique inclusive qui va être le levier pour bâtir une école plus inclusive. C’est vraiment ce sujet qui est au cœur de notre débat aujourd’hui. Et c’est ce débat qui s’inscrit dans un contexte fort, qui est celui de la remise du rapport de l’ONU qui nous demande encore une fois depuis quelques années la fermeture des établissements spécialisés. Aujourd’hui, ce n’est pas l’objet de ce débat. L’objet de ce débat, c’est de savoir comment les dispositifs spécialisés peuvent changer de pilotage et est-ce que l’éducation nationale pourrait piloter ces dispositifs spécialisés ? Et en quoi cela permettrait d’améliorer la situation ? La pédagogie, la didactique inclusive, ce sont des leviers majeurs. Nous avons tout intérêt, en termes d’éducation nationale, à s’inspirer de ce que font nos partenaires européens et à prendre un regard un peu plus international. Vous avez cité l’Italie, je citerai aussi l’agence européenne pour l’éducation inclusive qui met à disposition un certain nombre de ressources pour les enseignants.
Il y a beaucoup d’avancées depuis quelques années dans nos écoles. On est en augmentation du nombre d’élèves scolarisés. Et nous sommes dans ce processus de scolarisation et d’externalisation du médico-social vers l’éducation nationale. Notre pays est vraiment engagé. Mais nous sommes aujourd’hui à une limite. Aujourd’hui, on essaie de pousser les limites. On constate encore qu’environ 70 000 à 80 000 enfants et adolescents handicapés ne sont pas reconnus par l’éducation nationale et ont une éducation qui est pilotée par le ministère de solidarité et de la Santé. Avec des temps scolarisation minimes voir pas de scolarisation du tout. C’est un problème que l’on connaît. En 2014, il y avait eu des inspections générales du ministère de l’Éducation nationale, de la santé et des finances qui avaient évalué l’enseignement dans les ESMS. Le rapport était accablant et malgré quelques externalisations nous n’avons pas beaucoup avancé. L’ONU nous demande de réagir. Nous avons un gros retard français. Si l’on avançait sur le pilotage, on pourrait un peu plus avancer dans ce processus.
Sur les constats de terrain, on a mis en place une stratégie de coopération entre le ministère de l’Éducation nationale et tout l’écosystème médico-social. C’est une critique de l’ONU que l’on a.
Le modèle médical du handicap, c’est celui qui pilote l’éducation, qui pilote tous les dispositifs éducatifs et spécialisés, les unités d’enseignement, et même les unités externalisées. C’est le médico-social qui pilote l’éducation en France. Et nous sommes à des limites. Ce pilotage génère des limites d’organisation et a des effets pervers sur l’éducation, la pédagogie et sur l’image même des enfants.
C’est une stratégie qui a atteint ses limites. Peut-être qu’elle ne marche plus aujourd’hui. Pour quelles raisons ? Nous avons listé quelques effets et quelques limites, par exemple, sur les droits. Les droits à la scolarisation sont empêchés sur le terrain. Il y a des discriminations au handicap dont font l’objet les enfants handicapés dans ces dispositifs, les temps de scolarisation trop faibles, des absences d’équipes de suivis dans les IME, des PPS qui n’arrivent jamais. Alors quand on a le Gevasco, on est content.
Les familles rament pour avoir ces documents. Ce sont des droits bafoués. Cette stratégie de coopération du médico-social sur l’éducation nationale induit une mauvaise représentation du handicap sur nos enfants en situation de handicap parce qu’elle contribue à donner une représentation erronée. Cela envoie le signal que nos enfants ont besoin de soins. Les enfants autistes, les enfants trisomiques, tous les enfants en situation de handicap ont-ils besoin de soins ? Non. Ils ne sont pas malades mais en situation de handicap. C’est malheureusement le signal qui est envoyé. Tout en donnant l’influence, le pouvoir et le crédit au modèle médical et à ceux qui le gèrent, l’argent de la santé, pour payer l’éducation est-ce que c’est cohérent ? Je ne crois pas.
Nous avons aussi dit en creux l’incapacité des enseignants à agir par la pédagogie. C’est bien triste car c’est eux qui sont compétents au quotidien pour rendre nos enfants plus autonomes. On dit implicitement que seuls les professionnels médicaux savent s’occuper des enfants handicapés. Alors que l’on sait que c’est par la pédagogie et par des pratiques éducatives et pédagogiques inclusives que l’on permet aux enfants handicapés de devenir plus autonomes. Des limites aussi organisationnelles. Nous avons des dysfonctionnements. Les ESMS pilotent les unités d’enseignement. L’éducation nationale est un peu mise à mal. Les ESMS ont beaucoup de mal à s’adapter aux contraintes des réalités scolaires, sur les transports, sur les horaires, sur des choses concrètes. Par exemple, les enfants n’ont pas accès à Pronote. C’est quelque chose de très concret mais dans la relation aux familles très important. Il y a aussi le turn-over très important des équipes éducatives dans ces dispositifs. Et il y a aussi la gestion chaotique des personnels. Je ne vais pas m’appesantir. Un seul texte sur le fonctionnement des unités d’enseignement, qui est l’arrêté du 2 avril 2009, qui cadre le tout et qui a 11 ans maintenant, qui est un peu obsolète. Peut-être un levier pour la DGESCO Monsieur Geffray. Nous sommes vraiment en difficulté, avec le nombre d’élèves dans les dispositifs, le nombre d’heures de scolarisation…
Et un dernier constat. Pourquoi faut-il, à chaque fois que l’on ouvre un dispositif spécialisé, qu’il faille une convention tripartite entre la DSDEN, l’association gestionnaire et la collectivité territoriale pour ouvrir une classe spécialisée ? Il y a tout un ce cérémonial à mettre en place ? Pourquoi les classes spécialisées ne sont-elles pas sur la carte scolaire comme une ULIS ? Par simplification, il y a tout un tas de procédure à élaguer et à mettre en place et qui pourrait nous permettre d’y voir un peu plus clair pour basculer et faire changer le regard. On ne peut pas attendre que le regard change pour que le droit des enfants arrive. Il faut être proactif sur les politiques publiques. Il faut changer l’organisation pour que le regard change. Mais ce n’est pas le contraire qu’il faut faire. Et donc passer du modèle médical au modèle social dans l’éducation doit cela doit passer par un changement d’organisation.
Marie-Pierre Toubhans : Merci beaucoup. Vous avez évoqué la question de la pédagogie et de la didactique. Vous aviez évoqué la question de la formation. On va passer la parole à Caroline Desombre. Vous êtes professeur d’université et intervenez à l’INSPE où l’on forme les futurs enseignants. Pouvez-vous nous dire comment est-ce qu’ils sont préparés à exercer dans cette perspective ? Quels sont les dispositifs que vous mettez en place ? La parole est à vous.
Caroline Desombre : Merci. Il y a beaucoup de progrès qui ont été faits du point de vue de la formation des enseignants dans l’accompagnement de l’éducation inclusive, même si j’entends bien que les progrès ne vont pas assez vite et on aimerait que cela aille beaucoup plus vite. Mais de manière globale, il y a eu beaucoup de réformes des formations des enseignants, mais aussi de la manière dont on accompagne les enseignants dans cette éducation inclusive. Je voudrais dire une première chose, globalement chez les enseignants, l’inclusion est bien acceptée. Ils sont relativement favorables à l’inclusion des élèves en situation de handicap, même si sur la manière de faire, cela reste un peu plus compliqué. Nous avons une évolution importante il y a eu un certain nombre de réformes qui ont eu lieu, je pense, notamment à celle des enseignants spécialisés. Il a été évoqué le fait d’amener des enseignants spécialisés qui connaissent comment on répond aux besoins éducatifs particuliers des élèves pour accompagner les enseignants ordinaires. Cela est maintenant compris dans leurs missions et d’ailleurs leurs examens pour valider le diplôme ils ont une épreuve qui doit les amener à accompagner les adultes que peuvent être les enseignants ordinaires, mais aussi tout un travail avec des partenaires de l’école ou des parents.
Il y a un deuxième élément, c’est que maintenant en formation initiale, il y a un volume dédié à la formation des enseignants. Les Masters 1 et Masters 2 chez nous à l’INSPE ont un volume horaire dédié pour lequel on voit le cadre législatif et réglementaire mais aussi des éléments en lien avec des troubles, et pas seulement. L’idée est de bien dépasser le trouble pour passer aux besoins des élèves, c’est-à-dire de repérer ceux dont l’élève a besoin pour pouvoir apprendre. Cela nécessite une formation sur les processus d’apprentissage des élèves. Il y a également la question de l’inclusion et ses finalités avec l’idée d’avoir une pédagogie qui réponde aux besoins de tous les élèves. Nous avons aussi beaucoup de formation continue pour accompagner, même si elle reste insuffisante et que l’on aimerait accompagner ce changement de paradigme de manière plus forte. Il y a quand même des efforts qui ont été faits.
À côté de ça, les enseignants spécialisés continuent d’être spécialisés avec un volume horaire de 300 à 400 heures de formation par rapport à l’éducation inclusive. Il y a un des éléments pour lesquels cela reste compliqué en termes de formation, c’est que les enseignants ordinaires en formation initiale ont des préoccupations sur comment apprendre à lire un élève, par exemple ou sur la préparation des cours.
Ils n’ont pas forcément une représentation d’un élève « ordinaire ». Parfois, les accompagner sur la scolarisation d’élèves qui présentent d’autres types de besoins, c’est un élément qui peut être parfois compliqué. C’est plutôt en formation continue que l’on peut les accompagner. Et dernier élément de formation, on sait que d’un point de vue de la littérature scientifique que la formation aide beaucoup à l’inclusion. Les études ont montré que le fait de former les enseignants à l’inclusion avait des effets très importants sur les pratiques inclusives, mais aussi sur le taux de scolarisation des élèves.
On sait que ces formations permettent d’augmenter l’acceptation de l’inclusion, mais également le sentiment d’auto efficacité des enseignants. Les enseignants se sentent parfois démunis et cela permet de réduire leur stress.
L’analyse de la littérature montre que l’on n’a pas besoin d’un volume horaire énorme. Il y a des études qui ont été menées avec des formations de 20 heures. On fait 20 heures de formation et l’on mesure juste après. Je ne dis pas que dans toute la vie professionnelle des enseignants, il faut leur proposer 20 heures, mais au bout de 20 heures, on voit un effet de ces formations.
Il y a peut-être juste un élément qui est un angle mort de nos formations, ce sont des formations interprofessionnelles pour lesquelles le travail de partenariat avec les personnels médicaux éducatifs, il y a tout à construire. On commence à proposer dans les académies des formations interprofessionnelles qui accompagnent des enseignants et des personnels médicaux éducatifs.
Marie-Pierre Toubhans : Merci pour ce regard et ces éléments. On va juste passer la parole à Monsieur Geffray car le timing est assez rapide. Il y a beaucoup d’attente de la part du terrain, mais on voit aussi que les lignes bougent. Comment est-ce que l’on peut faire pour aller plus loin et plus vite ? Et en pratique, comment faire ? Quelles sont les étapes que l’on pourrait poser pour avancer sur cette école inclusive ?
Édouard Geffray : En trois minutes, je vais être bref. On peut tous s’accorder sur le fait que les choses ont beaucoup bougé. Aussi bien à l’échelle individuelle que d’un point de vue collectif. Les processus ont changé, l’accompagnement a changé, les mentalités aussi ont changé. Une culture professionnelle qui se construit autour de l’école inclusive. On vient d’évoquer la formation. C’est vrai en formation initiale car tout le monde à une formation dans ce domaine. C’est vrai en formation continue, c’est une des priorités que nous avons fixées. Cet enjeu de la formation est important car on évoquait la relation avec la famille, la pédagogie. Tous ces aspects passent par cette prise de conscience très tôt dans la carrière. Et même avant le début de la carrière. Du fait qu’aujourd’hui, cela fait partie du métier de pouvoir avoir une école pleinement inclusive. C’est le premier élément. Il est important, parce qu’il conditionne la compréhension des besoins. Il faut pouvoir comprendre de quoi l’enfant a besoin pour pouvoir apporter une réponse qui soit la plus adaptée possible.
Il y a une autre question que vous aviez posée au début, c’était celle qui nous réunissait. Comment renforcer ou améliorer la coordination entre l’univers médico-social et l’univers éducatif ? D’abord, le nombre d’enfants qui sont scolarisés aujourd’hui en classes ordinaires a connu une progression assez fulgurante. Il a été multiplié par plus de trois en cinq ans. Mais aussi par plus de six dans le second degré. C’est vraiment nouveau. En termes de scolarisation au niveau du primaire des enfants situation de handicap, les choses se passent suffisamment bien pour que ça se passe mieux dans le second degré.
Et le deuxième élément qui est important c’est de savoir ce qui se passe pour les enfants qui sont « à cheval » sur le médico-social et le scolaire ? L’objectif est aujourd’hui de construire le processus qui permet au maximum de scolariser c’est-à-dire d’internaliser du point de vue de l’éducation nationale ou bien d’externaliser du point de vue de l’ESMS la scolarisation de l’enfant. C’est un parcours, c’est un processus : au début peut être l’école va devoir aller dans l’établissement mais elle va aller dans l’établissement pour que un jour l’enfant puisse aller à l’école. On n’a pas beaucoup de temps pour creuser, mais c’est bien la trajectoire. Par rapport aux questions évoquées par les uns et les autres, il y a plusieurs sujets qui sont actuellement sur la table. On va évidemment continuer, parce que je crois que c’est quelque chose qui emporte l’engagement absolu du ministre et du ministère.
Marie-Pierre Toubhans : Merci à toutes et tous pour vos interventions. Je pense que ce débat est dans le débat plus général. C’est un débat de société qui existe. C’était un premier rendez-vous qui nous semblait important de pouvoir poser ensemble avec un premier tour de table. L’enjeu, c’est bien évidemment de ne pas s’arrêter ici et de pouvoir poursuivre, avant peut-être les troisièmes universités d’été du CNCPH, mais aussi parce qu’il y a des perspectives sur ce sujet en termes de débat et d’initiative qui pourrait être prise dans les semaines et dans les mois qui viennent. Un grand merci à toutes et tous. Je sais que les débats de tables rondes sont parfois un peu frustrants parce qu’on aimerait par les plus, pouvoir s’interpeller et échanger. Ce n’est que partie remise. Merci à chacun et à chacune de votre présence. Je vous invite à rester avec nous pour la séquence suivante. Nous allons accueillir la ministre Sophie Cluzel pour un temps d’échange pour la fin des universités d’été qui se déroulent en automne.