À l’occasion des 2èmes universités d’été du conseil national consultatif des personnes handicapées à la Bibliothèque Nationale de France, café littéraire du 22 septembre 2021 avec Pierre-Yves Baudot, co-auteur de : Le handicap cause politique, PUF, 2021
Pierre-Yves Baudot est interrogé par Anthony Aubé, association des personnes de petite taille (APPT).
Anthony Aubé : Bonjour à tous. Je suis Anthony Aubé, administrateur de l’Association des personnes de petite taille et membre du CNCPH. Nous avons le plaisir de recevoir Monsieur Pierre-Yves Baudot, auteur du livre « Le handicap, cause politique ». Je vous laisse vous présenter.
Pierre-Yves Baudot : Bonjour. Je suis professeur à l’Université Paris Dauphine et membre du CNCPH. Je travaille sur les questions du handicap depuis une quinzaine d’années.
Anthony Aubé : J’aimerais évoquer le langage utilisé à l’encontre des personnes handicapées dans les sphères politiques, médiatiques ou associatives. Pouvez-vous me parler des notions de validisme et d’oppression ?
Pierre-Yves Baudot : Il y a eu une évolution des façons de parler du handicap. Il y a en premier lieu eu le passage du terme « handicapé » aux termes « personnes handicapées ». Désormais, il faut parler de « personnes en situation de handicap ». Ce sont les politiques menées sur le sujet qui comptent. La question du « validisme » fait depuis une dizaine d’année l’objet de travaux par des sociologues ainsi que des militants américains et anglais. Ceux-ci ont fait de la notion de « validisme » une modalité de description des personnes en situation de handicap pour montrer la ségrégation dont elles sont victimes, au même titre que les personnes « racisées » et les femmes.
Anthony Aubé : Il y a une prise de conscience. Moi-même j’ai pris conscience de ces mots. Il y a une impression selon laquelle l’oppression existe presque naturellement en France. Que faudrait-il faire pour sortir de cette logique ?
Pierre-Yves Baudot : Cette oppression n’est pas naturelle mais politique (cf. titre de mon ouvrage). Elle est l’objet d’une action publique dont les intentions ne sont pas forcément celles des personnes concernées. Il n’est pas juste que la place réservée aux personnes en situation de handicap soit une place à part. La déconstruction de la naturalité, c’est de la politique.
Anthony Aubé : Dans tout ce que j’entreprends, je dois justifier ma place. Cette affirmation est d’autant plus vraie du point de vue administratif. Je ne peux rien anticiper, ce qui engendre une charge mentale que je me demande comment éviter.
Pierre-Yves Baudot : Tout ce que les personnes en situation de handicap doivent justifier est rendu invisible. Tant que les personnes « valides » n’auront pas pris conscience qu’il faut adapter certaines modalités de fonctionnement/de discussion, la place des personnes en situation de handicap sera marginalisée. L’objet des politiques du handicap, c’est de réinterroger les règles de fonctionnement social. Les règles de fonctionnement naturalisées, qui sont des règles discriminatoires, font obstacle à la pleine participation de tout le monde.
Anthony Aubé : Il y a 2 types d’associations : les associations des personnes concernées, dont je fais partie), les associations gestionnaires. Il y a un grand écart entre celles-ci, bien qu’il apparaisse important qu’elles travaillent ensemble. Comment les personnes en situation de handicap pourraient avoir plus de compétences/légitimité sans se voir écraser sous le poids des associations professionnelles ?
Pierre-Yves Baudot : C’est une question fondamentale, et que c’est tout l’enjeu des débats qui les politiques publiques et sanitaires, notamment sur la question du VIH. Il s’agit de l’expertise dite « profane ». L’expertise dans cette hypothèse n’est pas une expertise technique, mais une expertise de vie. Les personnes en situation de handicap ont un regard que les personnes « valides » n’ont pas.
Anthony Aubé : Historiquement, le handicap n’a pas été défini comme tel puisque les personnes handicapées étaient considérées comme des objets de soins. La société s’occupe d’elles, alors qu’elle devrait se montrer avec elles.
Pierre-Yves Baudot : La notion d’autonomie est un mouvement majeur de revendication des droits d’autonomie et de considération d’égal à égal. Le fait d’être une personne bénéficiaire de soins ne facilite pas la reconnaissance d’une personne titulaire de droits. Quels sont les obstacles que tu rencontres dans tes mobilisations ?
Anthony Aubé : L’accessibilité est l’un des principaux obstacles que je rencontre. En effet, de nombreux bâtiments et transports ne sont pas accessibles ce qui induit de s’organiser à l’avance. Par exemple, j’ai récemment demandé un prêt à la banque, qui m’a demandé une attestation sur l’honneur pour attester de ma taille.
Pierre-Yves Baudot : Cette illustration est une superposition de petits marqueurs remettant en cause la place des personnes en situation de handicap.
Anthony Aubé : Hier, une personne s’est mise à genoux à côté de moi pour me demander combien je mesure. C’est un quotidien ordinaire malheureusement, et la meilleure réponse à ce type de comportement c’est de militer. Je me suis rendu compte en lisant les articles d’une militante, que le Téléthon place le handicap comme un objet de charité. Mais depuis quand les enfants doivent-ils être mis en avant pour récolter de l’argent ?
Pierre-Yves Baudot : Ce schéma se reproduit dans toutes les petites interactions.
Anthony Aubé : Un professeur qui a 24 élèves, dit qu’il a 23 élèves et Anthony.
Pierre-Yves Baudot : Le problème n’est pas individuel.
Anthony Aubé : À mon avis, le problème est culturel et généralisé, ce qui est dramatique. La culpabilité liée à ma place/mon absence de place est difficile à vivre.
Pierre-Yves Baudot : Ça demande une volonté supplémentaire pour occuper sa place et la tenir.
Anthony Aubé : C’est difficile. Il y a une certaine forme d’irrespect dans la rue vis-à-vis de nous. Une personne en fauteuil se fait pousser sans que lui soit demandé son avis, précisément parce que l’avis des personnes en situation de handicap n’est jamais sollicité.
Pierre-Yves Baudot : C’est partout la même chose. Il faut s’arrêter là-dessus.
Anthony Aubé : Merci pour votre présence.