À l’occasion des 2èmes universités d’été du conseil national consultatif des personnes handicapées à la Bibliothèque Nationale de France, table ronde du 21 septembre 2021 : vie autonome et inclusion dans la société : avons-nous la bonne approche ?
Avec la participation de : Mara Gabrilli, sénatrice brésilienne et membre du comité des droits des personnes handicapées de l’ONU ; Giampiero Griffo, Forum italien des personnes handicapées ; Danièle Langloys, présidente d’Autisme France ; Farbod Khansari, délégué général du conseil français des personnes handicapées pour les affaires européennes et internationales (CFHE) ; François Bernard, assesseur de la commission Organisation institutionnelle du CNCPH ; Natacha Ete, association PAARI.
Animation : Maxime Daridan, rédacteur en chef adjoint de NextRadioTV
Maxime Daridan : Bonjour à tous et bienvenue ! Nous sommes à la table ronde « vie autonomie inclusion, avons-nous la bonne approche ? ». Selon l’ONU, et nombre d’associations, la réponse est : pas tout à fait. Comment mieux faire ? Quelles questions faut-il se poser ? C’est l’objet de cette table ronde, qui réunit six intervenants dont trois qui nous rejoignent en visioconférence. Je vais donc vous présenter les intervenants puis vous rappeler le cadre de nos échanges.
Avec nous, en visioconférence, Mara Cristina Gabrilli, qui est sénatrice brésilienne, membre élue du Comité des Droits des Personnes Handicapées de l’ONU, rapporteuse de la loi brésilienne inclusion de 2015, aussi connue pour avoir aligné le statut des personnes handicapées sur la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH). Avec nous également, Giampiero Griffo du forum italien des personnes handicapées, représentant pour l’Europe de disabled people international, coordinateur du comité technique et scientifique de l’Observatoire national sur la condition des personnes avec disabilité ; nous sommes sur un mot nouveau en français et ce sera justement l’une des thématiques que nous aborderons. Avec nous également par visioconférence, Natacha Ete, membre du Conseil Collégial de l’association PAARI, personnes autistes pour une autodétermination responsable et innovante. Et autour de ma table, François Bernard, membre de la commission organisation institutionnelle du CNCPH, directeur général du GAPAS, qui regroupe des associations gérant des établissements médico-sociaux dans le nord de la France. A ses côtés, Danièle Langloys, présidente d’Autisme France et Farbod Khansari, délégué général du Conseil français des personnes handicapées pour les affaires européennes et internationales et assesseur de la commission Internationale et Europe du CNCPH.
Comme nous sommes nombreux, que le sujet est complexe et que nous avons relativement peu de temps, nous allons procéder sous la forme des questions-réponses. Nous allons demander à chacun de limiter sa réponse en temps pour que tout le monde puisse participer et en profiter. Nous allons commencer par une question qui est posée à la sénatrice Mara Gabrilli. Le rapport de l’ONU sur la France cite un certain nombre de critiques, un certain nombre de pistes, mais commence par une question fondamentale que vous nous posons : quel est le constat de la situation en France et quelle est la définition de ce qu’est une vie autonome ?
Mara Gabrilli : Bonjour. Merci beaucoup, Monsieur Maxime Daridan. Et tout le Conseil national consultatif des personnes handicapées pour l’invitation. D’abord, je suis une femme brésilienne tétraplégique, cheveux blonds, les yeux verts. Je m’habille avec une robe verte et bleue. Derrière moi, il y a un salon très illuminé avec le soleil et la chaleur de la fin de l’hiver au Brésil.
Je voudrais vous remercier d’avoir été invitée. C’est un honneur pour moi de parler en tant que membre du comité des Nations unies des droits des personnes handicapées. À la suite de l’audition par le comité, nous constaterons d’un défi majeur, en ce qui concerne l’article 19. En premier lieu, le comité constate avec préoccupation la persistance de plusieurs réglementations qui structurent les budgets, qui favorisent le placement des personnes handicapées dans des milieux ségrégués, y compris les institutions médico-sociales et les services spécialisés.
En deuxième lieu, le comité constate l’absence de stratégie et des plans d’action pour la désinstitutionalisation et aussi le manque d’arrangements pour vivre de manière autonome au sein de la communauté, y compris le manque de logements indépendants accessibles et abordables, des soutiens individualisés, ainsi que le manque d’égalité d’accès aux services de la communauté. Voilà les premières impressions. Merci.
Maxime Daridan : Merci. Vous citiez l’article 19 de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, alors justement je vais lire le petit paragraphe qui a trait au choix de vie. « Les personnes handicapées doivent avoir la possibilité de choisir sur la base de l’égalité avec les autres leur lieu de résidence, et/ou avec qui elles vont vivre. Qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ». Farbod Khansari, justement cette question du choix de vie c’est un peu au cœur de la question qui nous occupe aujourd’hui.
Farbod Khansari : Absolument. Merci, bonjour à toutes et à tous. En effet comme il vient d’être dit l’article 19 reconnait le droit à l’égalité comme les autres. Cet article repose sur le principe fondamental des Droit de l’homme, selon lequel tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Toute vie a la même valeur. C’est quelque chose de fondamental.
J’aimerais revenir sur les observations générales de 2017 du comité des droits, qui portaient sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société. Le comité des droits des personnes handicapées affirme dans ses recommandations de 2017, que les expressions « autonomie de vie » ou « vivre de manière autonome », signifient que les personnes handicapées disposent de tous les moyens nécessaires pour prendre toutes les décisions qui concernent leur existence. Donc le choix et le contrôle ce sont des choses fondamentales autour de cet article 19. Ainsi, l’individu ne doit pouvoir choisir seulement son lieu de résidence, il ne faut pas réduire la question de l’autonomie de vie au lieu de l’habitat, mais sa capacité de choix doit concerner toutes les activités de sa vie, à savoir les occupations de tous les jours, le mode et le style de vie dans le domaine privé comme dans la vie publique, au quotidien comme à long terme. Ce qui paraît pour arriver à cette autonomie de vie, c’est le choix de la personne qui doit être au cœur des préoccupations et des pouvoirs publics, mais aussi des organismes gestionnaires et de la société tout entière.
Or aujourd’hui comme l’a relevé le comité des droits des Nations unies à l’occasion de l’examen de la France, il existe encore des barrières dans notre pays qui entravent l’accès à cette pleine autonomie des personnes, mais on reviendra peut-être plus tard sur comment dépasser ces barrières.
Maxime Daridan : Oui mais justement, j’ai envie de m’attarder sur le mot « autonomie », parce que cela recoupe plusieurs concepts différents. Danièle Langloys, aujourd’hui, ce qui nous manque, c’est d’avoir une définition française de ce que c’est que l’autonomie ?
Danièle Langloys : La France ne s’est pas doté d’une définition de l’autonomie alors qu’il y a une cinquième branche de la sécurité sociale qui porte ce nom : « la branche autonomie ». À titre personnel, je regrette beaucoup que ce travail n’ait pas été fait de manière suffisamment forte, notamment dans le cadre de la branche autonomie.
En France, malheureusement, l’autonomie a été couplée avec le terme de dépendance et donc beaucoup été associé aux personnes âgées, c’est très compliqué de faire comprendre que l’autonomie ne concerne pas que la dépendance ou la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées. C’est un concept qui doit être développé pour les personnes en situation de handicap de manière propre, ce qui n’a pas été fait. Donc le débat est biaisé en France. La ministre déléguée à l’Autonomie ne s’occupe d’ailleurs que des personnes âgées et pas des personnes en situation de handicap. L’autonomie c’est une construction tout au long de la vie et ce n’est pas la prévention de la dépendance qui doit lui donner un sens, comme on l’entend trop souvent. Il faudrait pour cela une réflexion de fond, qui a été très peu entamée, des constats et puis un plan d’action volontariste pour définir ce que l’on peut entendre par « autonomie » et les conditions qui permettraient de la faire exister.
Déjà, redéfinir le concept de handicap, puisque la France a une définition du handicap qui n’est pas aux normes et qui ne s’articule pas aux conditions environnementales et il faut le sortir de sa vision exclusivement sanitaire. C’est encore une caractéristique très française, qui a aussi été dénoncée par le comité ONU, notamment avec le poids du médecin dans les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Il faudrait aussi définir les conditions d’accès à l’autonomie. Pour les handicaps les plus sévères, ça commence par le diagnostic et l’intervention précoce, parce qu’il faut commencer tôt pour ne pas engendrer des surhandicaps, qui après menacent à long terme, bien sûr, l’autonomie. Il y a des dizaines de milliers de personnes arrivées à l’âge adulte dont on aurait pu éviter la gravité de leur situation, conformément aux recommandations des bonnes pratiques, est ce la peine de la dire…
Il faudrait aussi contrôler la qualité des services qui soutiennent cette autonomie. En France, on ne le fait pas, ou très peu. Et la qualité n’est pas toujours respectueuses des recommandations de bonnes pratiques, quand il en existe et il en existe de plus en plus. Il faut aussi former les professionnels à l’autonomie, ce qui n’est pas fait non plus. Malgré des demandes incessantes, les formations initiales des professionnels, qui pourraient contribuer au développement de l’autonomie, n’ont pas été refondues, donc ils n’ont pas les compétences nécessaires pour faire leur travail.
Maxime Daridan : Pour revenir au début de la question sur la définition, si l’on doit réfléchir sur les axes, sur lesquels il nous faut avancer, il y a vraiment une question de vocabulaire et je l’avais cité en introduction pour présenter monsieur Giampiero Griffo, qui est coordintaeur du comité et de l’Observatoire national sur la condition des personnes avec disabilités, un anglicisme en français et qui pour le coup ne répond pas à la définition classique que l’on a en France. On parle de « disability » en anglais, si l’on doit commencer par cette question du vocabulaire, pourquoi cette différence entre handicap et « disability » ? Comment est ce que la réflexion qui est menée en ce moment en Italie peut nous permettre d’avancer ?
Giampiero Griffo : Bonjour, merci pour l’invitation. La convention introduit un paradigme différent. Cela veut dire que les personnes, qui ont une limitation fonctionnelle, ne sont pas désavantagées. Ils sont discriminés et ils n’ont pas l’égalité des chances des autres personnes. On viole les droits de l’homme de cette personne. La convention souligne que la condition de cette personne est produite par une « désabilitation » entre les caractéristiques de cette personne et les conditions environnementales. La première chose que l’on essaie de faire en Italie, maintenant avec une loi, c’est de reconnaître la condition d’invalidité et non le handicap. Parce que la définition du handicap est un modèle issu de l’OMS qui est née en 1980 et nous avons une loi qui est basée sur cette idée. Mais il faut introduire la définition de la convention et faire la reconnaissance de la condition de « disability » pour soutenir le droit et l’accès aux droits des personnes qui ont cette condition. Cela produit une responsabilité de l’état bien-être et de la société. C’est basé sur un principe de précaution, principe très vaguement d’origine médicale. La pandémie a montré que ce modèle de l’état bien-être n’a pas protégé les personnes avec cette condition. On doit arriver à un changement pour arriver à un état bien-être de précaution à un état bien être d’inclusion. La Convention dit que nous sommes citoyens et nous devons recevoir les mêmes opportunités et avoir accès aux mêmes droits des autres personnes. C’est l’un des problèmes dans l’évaluation de 10 ans que la convention de Genève a fait émerger. C’est exactement ce système d’état bien-être, que l’on doit changer et le baser sur le modèle social de la protection des droits de l’homme.
Maxime Daridan : Merci beaucoup, Giampiero. Nous avons entendu les mots de ségrégation mais aussi de discrimination, ce sont des mots extrêmement forts. Natacha, en quoi est-ce qu’aujourd’hui ce qui est absolument nécessaire est peut-être un changement de paradigme pour sortir d’une logique d’exclusion ?
Natacha Ete : Aujourd’hui pour sortir d’une logique d’exclusion, il faut activer des leviers. Comme le rappelait un intervenant, la question du choix est primordiale et elle est au centre des limitations que connaissent les personnes. À la fois les personnes institutionnalisées car elles ont peu de choix au sein même de l’institution, mais elles ont également peu de choix et peu de modèles alternatifs à l’institution. Il y a eu des progrès parce que quelques solutions se développent dans certains domaines, notamment au niveau des solution d’habitats alternatifs.
Le rapport qui est paru l’an dernier de Piveteau et Wolform : « Demain, je pourrais choisir d’habiter avec vous » peut proposer de nouvelles solutions. Ce mode d’habiter se compose d’aides, qui permettent de pourvoir au côté plus social de l’habitat.
Il y a l’aide à la vie partagée, notamment qui va permettre de prendre en compte les temps d’animation pour Après les limites de ce modèle là également c’est qu’il ne sert à rien d’empiler d’autres aides, tant qu’il n’y a pas eu une révision du guide barème au niveau des MDPH. Aujourd’hui, les besoins de certains types de handicaps ne sont pas reconnus, mais j’y reviendrai.
Et il y a également une solution que permet ce nouveau rapport, c’est de développer des solutions d’habitat, y compris des personnes du secteur médico-social en faisant entrer des collectivités et des bailleurs sociaux. Si l’on veut sortir d’une logique d’exclusion, il faut que les personnes qui hier étaient dans les institutions quand elles en sortiront demain puissent avoir accès aux services ; aujourd’hui un certain nombre de services ne sont pas accessibles. En plus du manque d’accès au service, du fait des disparités géographiques, il y a aussi une difficulté d’accès par rapport à ce que j’évoquais tout à l’heure, aux aides financières, dont bénéficient les personnes en situation de handicap, qui sont souvent sous-évaluées parce que leurs besoins ne sont pas assez reconnus.
Pour sortir de cette logique d’exclusion, il faudrait aussi un changement de modèle profond au sein des associations gestionnaires. C’est-à-dire qu’il faut engager et accompagner le changement auprès des équipes de terrains et auprès des familles. Sortir d’un modèle économique de gestion pour lequel les institutions peuvent aussi être un gain financier. La désinstitutionalisation ne va pas être de fermer demain toutes les institutions, ça va aussi être de permettre aux personnes qui ne peuvent pas en sortir d’y vivre mieux, pour cela il faudrait un fonctionnement moins rigide. Aujourd’hui le fonctionnement des institutions ne permet pas de s’ajuster aux besoins des personnes et de leurs familles, par exemple quelqu’un qui aurait besoin d’un accueil à la demie journée ou ponctuel dans le cadre notamment de répit.
Maxime Daridan : Merci beaucoup. Mara Gabrilli, vous avez participé à cette audition de la France et vous avez eu l’occasion d’écouter des acteurs de tous bords, et vous avez pu construire un rapport qui a été dur dans son jugement de la France concernant cette politique d’institutionnalisation. Pourquoi à votre sens il faut faire évoluer ce modèle français ?
Mara Gabrilli : Merci monsieur Daridant. D’abord je voudrais préciser que le concept d’institutionnalisation ce n’est pas forcément un modèle français, mais mondial. Les défis de la France sont les défis de la majorité des pays. Je vous assure que développer un modèle de vie autonome selon les prévisions de l’article 19, ce n’est pas une tâche facile pour aucun pays. En revanche, le manque de réponse locale et adaptée en France est encore inquiétant. Et pourquoi c’est un problème ? Pourquoi il faut évoluer ? La persistance de l’institutionnalisation en France montre que la vision médicale prime sur l’organisation des politiques publiques en France. En 2006, la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) a instauré un changement de paradigme dans le concept du handicap. Ce changement résulte de la maturation de la société et surtout de la reconnaissance sociale, politique et scientifique du handicap comme attribut de la société et non de l’individu. Comme l’a dit Monsieur Giampiero Griffo. Cela veut dire que le handicap est un fait dans les villes et pas dans les personnes. Les villes n’offrent pas le soutien et les ressources nécessaires pour permettre la citoyenneté pour toute la diversité des personnes. Nous sommes donc face à une vieille conception du handicap, fondée sur les Droits de l’homme. Remplacer le modèle médical par l’impact de cette transformation ne pourrait être qu’un changement de paradigme dans la résolution des problèmes et des solutions qui sont liées au handicap. Ainsi que dans la mise en œuvre d’actions et de politiques publiques qui visent à assurer la pleine inclusion des personnes dans la société sans discrimination, en raison de leurs différentes façons de se déplacer, d’écouter, de voir, de penser, d’apprendre et d’exister. Voilà pourquoi il faut évoluer. Merci beaucoup.
Maxime Daridan : Merci beaucoup. Alors justement Danièle Langloys parlait de la question des formations, comment on réussit à accompagner cette question de choix a été abordé également par Natacha Eté. Alors les institutions ont pris quelques coups, mais des expérimentations ont été menées. C’est quelque chose sur lequel vous travaillez aujourd’hui, que ce soit sur des questions de cogestion dans la façon dont vous recrutez et il y a également la formation des accompagnants à l’autodétermination. Comment ça se passe aujourd’hui ?
François Bernard : On partage un certain nombre de constats qui ont été portés par les différents intervenants, et également l’ONU, notamment sur la question de la formation initiale.
On estime que les travailleurs sociaux ne sont pas suffisamment formés, voire pas du tout, à l’accompagnement d’une personne en situation de handicap sur l’autonomie. L’un des principes de l’autonomie pour nous, c’est la question de l’autodétermination. Avec une chaire de recherche au Québec, qui s’appelle « autodétermination et handicap », nous avons travaillé sur des programmes à l’autodétermination pour les professionnels, pour les familles et pour les personnes accueillies. C’est vraiment important de penser sur ce triptyque-là. Pour des personnes qui n’ont connu que des services institutionnels, demain de pouvoir réfléchir autrement il faut pouvoir mettre cela en place concrètement sur le terrain et cela passe par la formation. Nous avons décidé de reformer tout le monde. C’est un travail colossal et très long, mais qui nous semble important si l’on veut que les personnes puissent avoir le pouvoir d’agir.
Et ce que l’on a mis en place sur le terrain, c’est que dans l’une de nos mises en accueil spécialisé, nous avons expérimenté le recrutement des professionnels par les personnes elles-mêmes. Donc nous avons formé des personnes en situation de handicap, qui sont pluri-handicapées ou polyhandicapées, à recruter leurs propres salariés. Elles vont recruter leurs éducateurs, leurs aide-soignants et on est allé jusqu’au recrutement des cadres de direction et jusqu’à la dernière qui était la directrice régionale des Hauts de France. Quand on forme les personnes et qu’on leur donne le pouvoir de choisir qui va les accompagner, elles ont des critères de recrutement qui sont complémentaires et quelquefois même différents de nos propres critères de recrutement au niveau de l’encadrement.
Un exemple : certaines personnes nous disaient qu’elle voulait des personnes douces, qui les écoutent. Quand elles interrogent les professionnels de terrain, qui candidatent, elles vont les chercher là-dessus. Elles vont aller vérifier si les professionnels sont bien dans ces dispositions-là. Souvent, les candidats et les candidates ont un discours de vérité, et cela marche plutôt bien. C’est important que les personnes puissent recruter leurs propres salariés. Et nous allons un peu plus loin, pour que ls personnes handicapées puissent donner leur avis, peut-être demain les associer dans les entretiens d’évaluation annuels. Et puis on va revoir nos statuts associatifs puisqu’on va créer un collège des personnes accueillies au sein du GAPAS et les personnes auront une voix délibérative comme les autres administrateurs de l’association.
Maxime Daridan : Très rapide question quand ce projet a été proposé, tout le monde s’est mis à hurler dans les cadres du GAPAS ou cela a été plutôt bien accueilli ?
François Bernard : Cela a été plutôt bien accueilli. On a voulu le tester et l’évaluer, pour ensuite le développer et l’essaimer. C’est ce qu’on fait maintenant dans l’ensemble de nos 32 établissement et services, les personnes participent au recrutement de leurs accompagnants.
Maxime Daridan : D’accord merci beaucoup. Par rapport à l’audition par l’ONU de la France, il y a eu beaucoup de réactions. Une en particulier celle du groupe Polyhandicap France, qui accuse l’ONU, à rebours de ses positions, de bafouer les droits des personnes polyhandicapées, puisque l’ONU appelle à fermer toutes les institutions, évidemment cela ne se prête pas à tous les cas, ça avait été soulevé par Natacha Eté qui disait que si les institutions se vident, cela donnera plus de confort aux personnes qui restent, car il devra en rester avec un accompagnement spécialisé. Farbod Khansari justement sur le choix pour avoir une réponse adaptée, et prendre en compte ces degrés d’autonomie, il faut trouver le bon gradient ?
Farbod Khansari : Bien entendu, pour revenir à ce choix, comme cela a été rappelé par la Défenseur des droits, par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, à l’occasion de l’examen de la France par l’ONU, nous pensons que trois conditions doivent être réunies pour permettre vraiment cette autonomie de tendre vers le respect plein et entier du choix de la personne.
Il y a la question de l’accessibilité des services, y compris des équipements, du numérique, du bâti, de l’information, etc. Et cela doit prendre en compte le type de handicap, selon les principes de la conception universelle. C’est quelque chose qui n’est pas assez pris en compte dans notre pays et qui permettrait de tendre vers l’accessibilité pour tous les citoyens français.
La deuxième condition indispensable pour pouvoir permettre cette autonomie, ce sont des ressources et des moyens de compensation suffisants pour permettre de vivre en indépendance et au-dessus du seuil de la pauvreté, notamment les questions de la compensation, les aides humaines, les aides techniques et des ressources dignes pour les personnes.
Enfin la dernière, enfin ce n’est pas dans l’ordre car les trois sont complémentaires. Une gamme d’accompagnement et de services de qualité. On parlait des niveaux de formation pour la qualité de l’offre de services pour les personnes en situation de handicap, pour leurs familles et leurs proches aidants ; permettre ainsi une réponse individualisée aux personnes, adaptée à ses besoins qui prend en compte le niveau d’autonomie de la personne.
Avec la réunion de ces trois éléments, on pourrait tendre vers l’autonomie. Ces éléments sont repris dans les recommandations de l’ONU, qui les mentionne. L’ensemble de ces facteurs doivent être pris en compte dans les politiques publiques en France.
Au-delà de ça, on est dans un contexte favorable. Au niveau européen, il y a une dynamique qui nous est favorable pour tendre vers cette transition en faveur de l’autonomie des personnes handicapées qui sont engagées par les associations depuis plusieurs années. On a signalé, dès mars 2021 de cette année, que l’Union européenne s’est dotée d’une nouvelle stratégie en faveur des droits des personnes handicapées sur la période 2021/2030. Et cette stratégie est basée sur l’application directe de la convention, puisque l’Union européenne est signataire de cette convention et donc doit respecter les engagements de la convention. En l’occurrence l’article 19 avec l’inclusion dans la société et l’autonomie de vie. Accessibilité, accès à l’emploi et à des revenus décents, accès à la santé, tous les thèmes de la convention sont repris dans cette nouvelle stratégie qui vise à rendre effectif les droits des personnes handicapées. Résolument tournée vers une reconnaissance des droits, cette nouvelle stratégie pour les 10 années à venir repose sur trois piliers : la reconnaissance des droits dans l’Union européenne, la question de la non-discrimination et de l’égalité des chances et l’autonomie des personnes. Ce sont les trois piliers de cette stratégie communautaire. Et pour rendre cette stratégie opérationnelle et effective, elle est accompagnée par la mise à disposition des financements européens sur une période de sept ans à venir dès la fin de cette année, via les fonds structurels européens qui vont permettre sur les territoires et les régions d’aller encore plus loin dans cette démarche d’autonomie des personnes. A nous de nous servir de ces opportunités de financements, qui peuvent être des leviers pour tendre vers l’autonomie des personnes.
Pour conclure, je dirais que dans la perspective de la prochaine présidence française de l’Union européenne, à compter du 1er janvier 2022, la France sera pour une durée de six mois à la tête, et pourra faire avancer les droits des personnes en situation de handicap en Europe. Espérons que la France sera au rendez-vous à l’occasion de cette présidence pour tendre encore plus vers l’autonomie des personnes.
Maxime Daridan : Pour le coup ce serait un calendrier plutôt favorable. Mais alors comment on effectue cette transition ? Comment est-ce que l’on réussit à franchir ce cap ? Des recommandations de l’ONU ont été donnée, Mara Gabrilli, est-ce que vous pouvez nous en dire un mot ?
Mara Gabrilli : Oui. Merci, Monsieur Daridan. À la suite de l’audition du comité, nous avons diffusé nos observations finales sur le rapport initial de la France avec quelques recommandations spécifiques aux autorités françaises, en ce qui concerne l’article 19. En premier lieu, on recommande que la France adopte des campagnes de sensibilisations sur le droit de vivre de manière indépendante, d’être inclus dans la communauté et sur les effets néfastes de placements en institution des personnes handicapées. Il faut lancer une politique nationale et des plans d’action pour mettre fin à l’institutionnalisation. En deuxième lieu, il faut mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour permettre aux personnes en situation de handicap en France d’exercer des choix et le contrôle sur leur vie et de prendre des décisions concernant leur choix d’avec qui vivre, y compris un logement accessibilité et leur accompagnement spécialisé et individualisé. Et on préconise l’établissement d’un calendrier pour assurer l’accessibilité des services ordinaires à la population générale par les personnes handicapées sur un pied d’égalité avec les autres, y compris l’éducation, la santé, le travail, l’emploi, sur la base d’une évaluation des besoins individuels.
Il faut cesser le transfert des personnes handicapées pour leur placement en institution vers la Belgique et leur garantir le droit de vivre de manière indépendante dans le lieu de leur ville d’origine ou de leur choix. Finalement, pour la transition des modèles, je vous rappelle l’observation générale numéro 5, qui a été diffusée en 2017 sur l’autonomie et l’intégration de la société. Je souligne que notre comité travaille en ce moment pour développer un guide qui aidera les États vers les processus de désinstitutionalisation. La construction de ce document est faite de manière démocratique et par plusieurs mains, après un processus d’au moins sept consultations régionales et une étroite coopération avec l’organisation des personnes handicapées. Ce document va exprimer de manière claire comment organiser les étapes de cette transition nécessaires pour la désinstitutionalisation.
Maxime Daridan : Merci beaucoup. Je suis en train de me faire gronder parce que nous sommes en train de dépasser le temps imparti. D’un mot, François Bernard, changer de politique nationale, c’est ce que dit le rapport de l’ONU, et lancer des plans d’action. Le problème, c’est qu’en France, nous avons une façon de procéder très centralisée. Vous avez eu une expérience différente qui permet d’avoir un modèle de développement un peu différent.
François Bernard : Oui enfin je pense qu’il faut un pilotage national sur la question de la transformation de l’offre mais il ne faut pas tout attendre de l’État. C’est aux organismes gestionnaires de se prendre en main et de travailler à la désinstitutionalisation. Un certain nombre de services doivent évoluer. Nous avons des personnes en situation de handicaps qui n’ont pas forcément besoin de toutes les prestations qui existent dans l’établissement dans lequel elles vivent. Il faut faire ce travail-là.
Il faut que chaque organisme gestionnaire pilote aussi et que l’on soit en confiance avec les organismes de tutelle, que les ARS ou les Départements nous permettent d’expérimenter, que l’on dés-administre parfois l’accompagnement des enfants et des adultes pour aller vers plus d’autonomie.
Maxime Daridan : Danièle Langloys, vous parliez d’un traitement différencié entre les personnes en situation de handicap.
Danièle Langloys : Oui, si la discrimination elle est globale, il y a des discriminations à l’intérieur du handicap. Quand on a des handicaps qui viennent de troubles cognitifs, neurodéveloppementaux ou psychiatriques, on n’est pas éligibles aux mêmes prestations que des personnes en situation de handicap sensoriel ou moteur.
Preuve en est de nos efforts collectifs auprès de plusieurs associations pour obtenir que les critères d’éligibilité à la prestation de compensation du handicap (PCH) soient élargis pour que les publics qui ne sont pas éligibles le deviennent. Nous avons pour le moment reçu une fin de non-recevoir au motif que potentiellement ça pourrait coûter cher alors qu’on ne se pose pas la question pour les autres formes de handicaps. Ce genre de discrimination est particulièrement insupportable. Elle met directement en cause l’autonomie : si on ne peut pas accéder à l’aide humaine nécessaire parce qu’on n’est pas éligible à ce service ou à cette aide humaine, c’est discriminatoire et cynique à l’égard d’un très très grand nombre c’est quand même quelques centaines de milliers de personnes qui sont concernés. Certains publics ne sont pas traités de manière équitable sur le territoire.
Maxime Daridan : Merci beaucoup Danièle Langloys. Il y avait deux points que l’on ne pourra pas aborder faute de temps. C’était important de les citer. Il y avait une question qui était d’évoluer à Natacha sur l’inclusion dès le plus jeune âge comme un facteur de vivre ensemble parce que l’autonomie passe aussi par un changement de conscience et de mentalité. Et cela passe par une plus grande proximité et mettre fin à la mise à l’écart.
Et l’autre question que nous ne pourrons pas aborder était posée à Monsieur Griffo qui fait un gros travail sur l’inclusion et l’autonomie comme facteur de citoyenneté. Il l’avait déjà cité dans son intervention du début de tables rondes. Nous n’aurons pas le temps d’y revenir. Notre temps est complètement écoulé. Nous avons même un peu dépassé.
Je tiens à remercier tous nos participants. Je remercie également le CNCPH et le CIH pour l’organisation des débats. Plus spécifiquement Jérémie Boroy et Céline Poulet. Bonne journée à tous. Tout de suite, un flash d’innovation avec la présentation d’OMNI.