Web public et accessibilité : du bon usage des chiffres

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La publication récente d’un certain nombre de chiffres concernant l’accessibilité des sites publics en France et une approximation dans un récent rapport de la Défenseure des Droits annonçant un web public accessible à 40% imposent un décryptage rapide du CNCPH en quelques points clés.

Les obligations légales

Selon la loi, depuis mai 2012, l’ensemble des sites internet publics devaient être rendus accessibles. En France, ce qui permet de mesurer cette accessibilité est le respect du Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA), tel qu’institué par les décrets et arrêtés découlant de l’article 47 de la loi du 11 février 2005.

Depuis octobre 2016, au travers de la directive européenne UE 2016/2102, l’Union Européenne harmonise ce droit à l’accessibilité pour l’ensemble des pays membres de l’Union, avec de nouvelles échéances formulées comme suit pour que, sauf exceptions particulières et décrites dans la directive, les services publics soient rendus numériquement accessibles à toutes et tous :

  • tous les sites internet publics au 23 septembre 2020 doivent respecter la norme européenne en vigueur (EN 301549, PDF en anglais),
  • toutes les applications mobiles publiques au 23 juin 2021 doivent faire de même.

Cette directive convient également d’un rapport à remettre tous les trois ans pour faire état de l’accessibilité numérique pour chaque pays membres (rapports dus au 31 décembre 2021, à ce jour non remis par la France).

Février 2020

Lors de la conférence nationale du handicap du 11 février 2020 (qui marquait les 15 ans de la loi du 11 février 2005), le gouvernement, par la voix du secrétaire d’État chargé du Numérique, s’est engagé à ce que 80% des 250 démarches en ligne les plus utilisées par les Français soient rendues accessibles pour 2022. À cette fin, un critère lié à l’accessibilité apparaît dans l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne, une « démarche en ligne » n’étant pas un site internet mais souvent une partie d’un site. 

Février 2022

Le 3 février 2022, le dossier de presse du comité interministériel du handicap (CIH), qui s’est réuni le même jour autour du Premier ministre, indique que « 37% des 241 démarches en ligne les plus utilisées par les Français sont accessibles ». 

Le 16 février 2022, la Défenseure des Droits publie un rapport sur la dématérialisation des services publics où l’on peut lire que « ce sont désormais 40 % des sites internet publics qui sont accessibles à destination des personnes en situation de handicap ». Ce pourcentage est donc une extrapolation démesurée du chiffre communiqué lors du CIH, chiffre lui-même issu des données (à l’époque non publiées) de l’observatoire de la qualité des démarches en ligne, les sites internet publics ne se résumant pas aux 241 « démarches en ligne » les plus utilisées. S’il s’agit d’une coquille (isolée et corrigée depuis) du rapport du Défenseur des Droits, rapport par ailleurs précis et développé sur le sujet, elle met en lumière les risques de confusion entre site internet et « démarche en ligne » au détriment de leur accessibilité réelle et de la garantie des personnes handicapées d’accéder à leurs droits. 

Le 25 février 2022, les chiffres de l’observatoire sont enfin publiés : nous y apprenons que 76 des 241 démarches en ligne les plus utilisées sont classées comme « accessibles ». 

Mécanique de l’accessibilité dans l’observatoire

Pour qu’une démarche en ligne soit considérée comme « accessible » par l’observatoire, la construction de l’indicateur d’accessibilité est le résultat de deux conditions :

  • avoir une déclaration d’accessibilité de moins de trois ans,
  • afficher un taux de conformité au RGAA de 75%.

Précisions prises auprès des responsables de l’observatoire : ces deux critères sont évalués sur la base des démarches numérisées, ce qui est le cas de 216 démarches sur les 241 évaluées par l’observatoire, celles qui ne sont pas en ligne n’étant pas prises en compte. Les 10 démarches qui n’utilisent pas d’interface destinée aux usagers sont également écartées. Le taux affiché de 37% ne concerne donc pas 250, ni 241, ni 216 mais 206 démarches. 

Par ailleurs, ces deux critères ne présagent pas de la pleine accessibilité d’un site telle que requise par la loi puisque 75% de conformité en matière d’accessibilité suffisent pour obtenir un classement comme accessible dans l’observatoire, ce qui n’est, rappelons-le, pas le niveau requis par la loi.

Un effet loupe

L’erreur relevée (et corrigée) dans le rapport de la Défenseure des Droits était une surinterprétation des chiffres fournis par l’observatoire en ce sens où le web public français n’est pas accessible à 40%. Quant aux chiffres fournis par ce même observatoire, ils s’appuient donc sur une base de 206 démarches pour parvenir à un taux de 37% « d’accessibilité » et non 241 démarches en ligne (les plus utilisées qui ont une déclaration d’accessibilité de moins de trois ans attestant du fait que ces mêmes démarches en ligne respectent au moins à 75% les critères d’accessibilité fixés par l’article 47 de la loi du 11 février 2005).

A ce jour, la France est donc encore très loin d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée dès 2005 et que l’Union européenne a fixé pour l’ensemble des pays membre dès 2016. Une estimation communément admise et recoupée par différentes études, notamment au niveau mondial, fait état du fait que près de 97% des sites internet présentent un défaut d’accessibilité numérique dès leur page d’accueil. Ce qui signifie que seuls 3% des sites internet seraient aujourd’hui accessibles.