À l’occasion des 2èmes universités d’été du conseil national consultatif des personnes handicapées à la Bibliothèque Nationale de France, table ronde du 21 septembre 2021 : vie affective, intime et sexuelle : des tabous encore à lever ?
avec la participation de : Katell Ropert, vice-championne du monde de parasurf et maman solo de 5 enfants handicapés ; Julia Tabath, administratrice d’AFM-Téléthon ; Isabel Da Costa, vice-présidente d’APF France Handicap ; Ingrid Geray, avocate et membre du comité exécutif de la chaire UNESCO Santé sexuelle et Droits humains ; Céline Poulet, secrétaire générale du comité interministériel du handicap.
animation : Dominique Gillot, présidente honoraire du CNCPH
(Les premiers instants de la table ronde sont absents de la vidéo pour des raisons techniques indépendantes de la volonté du CNCPH.)
Dominique Gillot : Bonjour. Je suis très heureuse d’inaugurer la deuxième journée des Universités d’été du CNCPH. Je suis Dominique Gillot. J’ai présidé pendant plusieurs années le CNCPH. Je me flatte d’être un peu l’« avocate » des personnes qui vivent avec un handicap et qui veulent prendre toute leur place dans notre société. Je regrette que Cyrielle Claverie qui a longtemps présidé la commission Santé du CNCPH, ne puisse pas animer cette table ronde et enrichir les échanges avec son expérience. Le débat sur la vie affective, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap existe de longue date. Il croise la question du libre choix et de l’autodétermination des personnes en situation de handicap. Il croise aussi la question de l’acceptation de la société, des familles, des encadrants et des aidants. Le libre accès à une vie affective, intime et sexuelle, autonome et indépendante, implique de connaître les obstacles que rencontrent les personnes et d’accepter d’aider à les surmonter. La loi n’est pas suffisamment précise sur le sujet à ce jour. Il y a un constat selon lequel les personnes trouvent des arrangements, et rencontrent parfois des difficultés. Les choses ont progressé du côté des personnes handicapées sensorielles puisqu’il n’est plus imaginable qu’elles puissent être à ce jour privées d’une vie affective, intime et sexuelle. La prestation de compensation du handicap (PCH) parentalité en atteste, mais c’est une PCH pour la parentalité et non pour la vie sexuelle. Cela constitue une difficulté pour les personnes qui sont entravées dans leur autonomie gestuelle, mais aussi pour les personnes qui ont des troubles mentaux ou psychiques. La maîtrise et l’expression de leurs pulsions et de leurs désirs ne sont pas toujours bien accompagnées, ni acceptées par la société. Le CNCPH a engagé une réflexion sur le sujet et nous attendons ses conclusions, voire sa saisine. Je suis accompagnée pour cette table ronde par plusieurs intervenants : Céline Poulet, la secrétaire générale du secrétariat général du Comité interministériel du handicap (SG-CIH), Katell Ropert, Isabel Da Costa, Ingrid Geray, Julia Tabath. La table ronde est essentiellement féminine, ce qui ne veut toutefois pas dire que le sujet ne concerne que les femmes. Je passe la parole à Katell Ropert.
Katell Ropert : Je cumule les handicaps. Je suis tétraplégique, mais je suis aussi vieille (48 ans). Je suis une mère célibataire de 5 enfants en situation de handicap, et malgré cela, j’ai une vie sexuelle et affective tout à fait satisfaisante et active. Je connais toutefois des personnes en situation de handicap qui sont en grande détresse sur ce point. Je suis médiateur de santé-pair. J’ai plusieurs anecdotes à raconter. Celle d’une personne tétraplégique qui a rencontré quelqu’un après son accident, avec qui elle a eu 2 enfants et qui a une vie affective et sexuelle tout à fait ordinaire. Puis celle d’une personne valide de 40 ans qui n’a pas de vie affective et qui n’a jamais eu de vie sexuelle. Je pense qu’il ne faut pas faire de généralisation sur le sujet. La problématique est selon moi centrée sur les personnes ayant de grandes contraintes physiques, mais il faut également prendre en compte les personnes qui ont des troubles de l’élocution sujettes aux difficultés à créer du lien et à avoir des partenaires dans leur vie.
Dominique Gillot : Merci pour ce témoignage. Les situations sont très diverses. Toute personne est confrontée à un parcours de vie différent. L’objectif du débat est d’apporter de la reconnaissance aux personnes qui sont dans une détresse personnelle face à un droit essentiel qui confère de la dignité à chaque personne. Merci pour votre témoignage.
Quelles avancées peuvent être constatées à ce jour ? Il y a 20 ans, toute vie sentimentale était proscrite dans les établissements.
Céline Poulet : C’est vrai. Je vais rebondir sur ce que vient de dire Katell. Le 3 septembre 2019 se mettait en place le Grenelle pour lutter contre les violences conjugales. Nous avons constitué plusieurs groupes de travail avec des femmes en situation de handicap, des parents et des associations. La première chose qui a été décidée et reprise lors du dernier CIH, c’est la mise en place de centres ressources vie affective, intime, sexuelle et de soutien à la parentalité des personnes en situation de handicap dans chaque région. Il y a actuellement 9 régions dans lesquelles le dispositif se déploie. Ce sont des centres qui ont pour objectif de mailler le territoire. Ils constituent un endroit unique pour poser ses questions et pour mettre en place des réponses sur mesure.
L’agence régionale d’Île-de-France mène quant à elle une action intitulée « HandiGynéco » faisant intervenir des sages-femmes dans les établissements médico-sociaux pour faciliter l’accès des femmes en situation de handicap aux soins gynécologiques, les informer, et appréhender la thématique de la violence faite aux femmes (VFF) dans ces établissements. Elle permet de faire du « sur mesure » pour les femmes en situation de handicap en lien avec des professionnels de santé. Le CIH a décidé de généraliser cette action pilote pour que toutes les femmes en situation de handicap puissent bénéficier de consultations gynécologiques qu’elles se trouvent en établissements ou à domicile.
Il y a par ailleurs un accent à mettre sur la formation. Une jeune fille ou un jeune garçon en situation de handicap, doit pouvoir parler sexualité très tôt pour qu’il n’y ait pas de tabous. Il existe la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) qui permet à tous les professionnels de monter en compétences grâce aux kits pédagogiques qui ont été élaborés.
Nous nous sommes penchés sur ce qui se passe dans les établissements. Il y a eu de nombreuses discussions sur l’obligation d’avoir une contraception pour qu’une femme en situation de handicap soit acceptée dans un établissement. Si oui, le type de contraception est-il choisi ou imposé ? La question de la stérilisation a par ailleurs été abordée. Une circulaire sur le rappel au droit à la vie intime et sexuelle dans les établissements a ainsi été élaborée pour bien remettre cette question au cœur de l’accompagnement des professionnels. Un module de formation pour accompagner ces professionnels est en parallèle en train d’être développé.
Une personne en situation de handicap peut avoir envie d’être parent. La parentalité est un sujet extrêmement important de sorte qu’il faut lever les tabous. Il est ainsi important d’accompagner le projet et la compétence des parents. Dans la continuité des travaux liés aux « 1 000 premiers jours de l’enfant », un dispositif d’accompagnement à la périnatalité et à la parentalité des personnes en situation de handicap a été mis en place dans quelques régions. Une généralisation est prévue en 2022.
Ces nouvelles prestations ont pour objectif de faire monter les acteurs de droit commun en compétences. Il y a en des avancées et nous sommes tous mobilisés.
Dominique Gillot : Il est intéressant de voir la modification des comportements dans les établissements (ex. : qualité d’écoute), et la définition de nouvelles prestations pour permettre aux personnes d’assumer leur désir de parentalité. Mais quid des personnes qui désirent avoir une vie intime et sexuelle sans pour autant avoir un enfant ? De nombreuses mesures ont été mises en place pour les femmes en situation de handicap à la suite de rapports de violence et de mépris, mais quid des hommes ?
Céline Poulet : Vous avez tout à fait raison. Nous parlons beaucoup des femmes en situation de handicap, mais les centres ressources vie affective, intime, sexuelle et de soutien à la parentalité des personnes en situation de handicap, accueillent tant les femmes que les hommes. C’est effectivement en élevant le seuil de compétences de chacun qu’une réponse individualisée pourra être donnée. Merci beaucoup pour ce complément.
Dominique Gillot : C’est aussi l’éducation à vivre ensemble qui est développée pendant les Universités d’été du CNCPH. Comment vivre ensemble, avec handicap et sans handicap, et se respecter pour avoir une meilleure qualité de vie ? Je vais donner la parole à Isabel Da Costa qui est la vice-présidente d’APF France handicap.
Isabel Da Costa : Je vais commencer par vous exposer nos attentes vis-à-vis des travaux du comité consultatif national d’éthique (CCNE) par lequel nous avons été auditionnés. Notre attente n’est pas une réponse positive ou négative sur l’assistance sexuelle mais plutôt une réponse sur l’encadrement de cette pratique pour éviter les abus, les discriminations et les violences. Nous pensons qu’il serait intéressant que le comité se prononce sur les principes éthiques que devront respecter les futurs services d’accompagnement à la vie sexuelle pour garantir la dignité et les droits fondamentaux de toutes les parties prenantes. Le rôle du comité, c’est aussi d’éclairer le débat dans la société pour faire évoluer les mentalités sur la vie intime, affective et sexuelle des personnes en situation de handicap. Il nous semble important de dépasser les préjugés moraux et les interdits culturels qui ne sont pas souvent cités mais qui existent. Il faudrait également sortir de l’arbitraire et de certains tabous. Des personnes en situation de handicap demandent à être accompagnées. Plutôt que de le nier cela, il faudrait les accompagner dans cette demande. Dans l’objectif de répondre aux besoins exprimés par les personnes, il faudrait ainsi leur permettre d’accéder à un service d’accompagnement à la vie sexuelle.
En ce qui concerne les attentes des personnes vis-à-vis de l’assistance sexuelle, nous avons constaté qu’elles sont différentes selon les personnes dans la mesure où la sexualité évolue avec l’âge et l’expérience. Elles concernent souvent la découverte ou la redécouverte du corps en dehors du soin. Elles sont pour nous individuelles et personnelles. Si par exemple l’attente d’une personne suppose de passer par un tiers pour l’exercice de sa sexualité, il paraît nécessaire de proposer des réponses en adéquation avec cette attente selon un cadre législatif et sécurisé, et une organisation qui veille à la dignité de chacun et de chacune. Il serait donc dommage de penser que l’accompagnement sexuel existe pour stigmatiser une population par rapport à une autre. Toutes les personnes n’ont pas forcément besoin d’un accompagnement sexuel, mais tout le monde devrait pouvoir avoir la possibilité d’en avoir un.
Dominique Gillot : Votre témoignage est très intéressant. Ce que je retiens dans ce que vous dites c’est tout ce qui permet à la personne d’exprimer son désir et de découvrir son corps autrement que comme un objet de soins. Vous avez parlé d’un cadre législatif sécurisé. Je pense que cette question peut être abordée dans la continuité de la discussion.
Ingrid Geray : Bonjour et merci pour votre invitation. La question de la légalité de l’accompagnement à la vie intime et sexuelle des personnes en situation de handicap est plurielle. Elle nécessite de préciser le cadre légal international. Selon la définition de travail de la sexualité de l’organisation mondiale de la santé (OMS), la sexualité est un aspect central de l’être humain, tout au long de la vie et prend en compte le sexe, les identités et les rôles socialement associés aux genres, l’orientation sexuelle, l’érotisme, le plaisir, l’intimité et la reproduction. Les objectifs du développement durable (ODD) des Nations unies permettent à chacun de devenir autonome et d’exercer des choix en ce qui concerne sa vie sexuelle et reproductive. S’il n’existe pas de droit à la sexualité, entendu comme le droit d’exiger de l’Etat les moyens d’accéder à une sexualité, le droit d’entretenir des relations sexuelles est reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), comme un droit fondamental consacré par la notion d’autonomie personnelle, qui est une composante du droit au respect de la vie personnelle et familiale (article 8 de la convention européenne des droits de l’homme). De la même façon, s’il n’existe pas de droit à la santé sexuelle, il convient de parler d’un droit aux soins de santé sexuelle pour permettre aux individus d’atteindre le meilleur état de santé sexuelle.
Par ailleurs, la santé publique nationale et internationale nous enseigne que les indicateurs en lien avec la sexualité et la santé sexuelle sont bien meilleurs lorsqu’un cadre légal est mis en place. Ce cadre légal permet d’éviter les dérives. Afin de garantir une activité en toute sécurité, le service d’accompagnement à la vie sexuelle des personnes en situation de handicap devrait être agréé par le ministère chargé de la santé, sur la base d’un cahier des charges. Ce service serait chargé d’informer le demandeur sur la sexualité et l’accompagnement sexuel dont il peut bénéficier, d’aider à la formulation de la demande en matière d’accompagnement sexuel, et de mettre en relation, le cas échéant, les personnes majeures en situation de handicap avec un assistant sexuel qui prodigue l’accompagnement sexuel. Les assistants sexuels seraient formés à l’éducation sexuelle complète et l’accompagnement à la vie intime. Enfin et surtout, pour de ne pas être pénalement répréhensible, l’accompagnement sexuel devrait être autorisé légalement afin que le bénéficiaire, le gestionnaire et les professionnels du service, ainsi que l’assistant sexuelle puissent bénéficier de la protection mentionnée à l’article 122-4 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Voilà quelques idées pour avancer sur ce droit et le cadre légal qui pourrait être mis en place.
Dominique Gillot : Merci pour toutes ces précisions. Je me tourne maintenant vers Julia Tabath, administratrice de l’AFM-Téléthon. Avez-vous des exemples de mise en œuvre dans d’autres pays ?
Julia Tabath : Merci de m’accueillir. Je suis ravie que ce sujet soit débattu lors des universités d’été du CNCPH. Je vais vous donner 2 exemples volontairement éloignés l’un de l’autre. Le premier, c’est celui des États-Unis. C’est dans ce pays qu’est née l’assistance sexuelle dans les années 80. La manière de mettre en pratique l’assistance sexuelle est différente selon les États. Le deuxième exemple, c’est l’Italie du Nord dans laquelle une expérimentation sur une assistance à l’intimité est en cours. Cette expérimentation est très cadrée : l’assistance sexuelle a lieu pendant un certain temps et le contact entre la personne en situation de handicap et l’assistant est ensuite coupé. La pénétration n’est pas possible. Seule la découverte d’un corps autre que le sien et la découverte de son propre plaisir est possible. Il n’y a donc pas de relation sexuelle à proprement parler.
Ce sont deux exemples de prise en compte de la vie affective, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap différents avec une approche et une culture également différentes. Ces deux exemples montrent que chaque pays adapte le concept. Il reste à la France à le faire.
Dominique Gillot : Avez-vous des préconisations particulières ? Vous citez 2 exemples très éloignés l’un de l’autre. Les États-Unis, avec une responsabilité subsidiaire des différents États, mais aussi cette forte législation sur l’inclusion. Néanmoins, cela est contrecarré par l’émergence d’une protection particulière dans la relation homme/femme. L’Italie est un pays plus latin. Il est précautionneux d’éviter que des relations particulières, privilégiées ou de soumission puissent se développer entre l’assistant sexuel et la personne. Vers quel système vous tourneriez-vous en fonction de ce que nous sommes capables de faire en France ?
Julia Tabath : Nous préconisons une formation encadrée et reconnue par l’État dans la mesure où il n’est pas possible de s’improviser assistant sexuel. Cela ne peut s’entendre que dans le cadre d’un service d’accompagnement à la vie affective et sexuelle. C’est une garantie éthique pour que toutes les parties, que ce soit l’assistant ou la personne en situation de handicap, puissent trouver une sécurité et un cadre qui leur permet une rencontre équilibrée. Ce service d’accompagnement aurait 4 missions : informer, recueillir la demande, orienter, recueillir le consentement éclairé, même quand la personne en situation de handicap a des difficultés à s’exprimer. C’est tout l’enjeu de ce service qui va ensuite mettre en relation la personne en situation de handicap avec un ou une assistante sexuelle. Il ne s’agit pas de mettre tout le monde face à tout le monde. Il faut être capable de trouver la bonne solution pour chaque personne, selon chaque demande. En dernier lieu, le service d’accompagner assure le libre choix de toutes les parties. Cela signifie que si un assistant sexuel n’a pas un bon contact avec la personne, ce n’est pas lui qui l’accompagnera. C’est la garantie du respect de la dignité de chacun. Le service respecterait l’anonymat et la vie privée. La famille ne sera par exemple pas informée du fait que la personne fait appel à un ou une assistante sexuelle. L’établissement ne saura quant à lui pas vraiment à quel moment l’assistant interviendra. Il n’est pas non plus question que ses coordonnées circulent librement. C’est cela qui peut, à notre sens, garantir un bon accompagnement.
Dominique Gillot : Merci beaucoup pour ces précisions. Il me paraissait important que vous soyez précise dans la mesure où le sujet est abordé avec sincérité et transparence. Mais nous voyons bien qu’il y a des termes, des situations et des encadrements qui sont sujets à discussion ou à polémique en fonction des convictions des uns et des autres. Ce qu’il est possible de retenir de cette table ronde, c’est l’importance du respect de la dignité et de la vie privée des personnes en leur permettant de découvrir qui ils sont et de gagner l’estime de leurs corps, avec ou sans défauts. Personne n’est parfait. C’est important d’avoir ce partage pour donner aux personnes en situation de handicap l’assurance de leur capacité d’être désirées et l’assurance qu’elles ont le droit de désirer. C’est important de le souligner, au-delà du cadre légal qu’il va falloir mettre en place. Nous n’avons pas abordé la solvabilisation de cet accompagnement particulier. Celle-ci fera peut-être l’objet d’une autre table ronde. Notre table ronde de ce matin, même si elle n’était que féminine, nous a permis d’avancer sur certains points. Merci à toutes d’y avoir participé. Je suis sûre qu’il y aura des réactions sur les réseaux sociaux.