À l’occasion des 2èmes universités d’été du conseil national consultatif des personnes handicapées à la Bibliothèque Nationale de France, table ronde du 22 septembre 2021 : Enseignement supérieur accessible : mythe ou réalité ?
avec la participation de : Éric Chenut, vice-président de la fédération nationale de la mutualité française (FNMF) ; Hélène Legault, cheffe du service handicap de l’Onisep ; Julien Thiery, étudiant en licence de droit ; Margaret Kopoka ; Marie Pieron, administratrice déléguée nationale Recherche et action publique locale de l’association des villes universitaires de France (AVUF) ; Cédric Villani, député de l’Essonne.
animation : Marie-Pierre Toubhans, présidente de la commission Éducation, scolarité, enseignement supérieur et coopération entre éducation ordinaire et éducation adaptée du CNCPH et coordinatrice générale de Droit au savoir.
Marie-Pierre Thoubans : Merci d’être avec nous pour cette table ronde dédiée exclusivement à l’enseignement supérieur et à la question de l’accessibilité. Sans plus attendre, je vais commencer par vous présenter celles et ceux qui ont accepté notre invitation à venir débattre, échanger, prospecter avec nous, au cours du temps qui s’ouvre. Tout d’abord à mes côtés, Éric Chenut, vice-président de la FNMF. À côté de lui, Hélène Legault, cheffe du service handicap à l’ONISEP. Margaret Kopoka, diplômée de master 2 accompagnement des personnes à besoins éducatifs particuliers et élue du 12e arrondissement. Et puis nous avons avec nous à distance Marie Piéron représentante de l’association des villes universitaires de France, Julien Thiery étudiant en licence de droit à l’université de Reims Champagne Ardennes, vous nous apporterez aussi votre éclairage particulier et enfin pour conclure, reprendre et faire émerger certains sujets, nous avons avec nous Cédric Villani, mathématicien, député de l’Essonne, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Merci d’avance à tous et toutes de ce temps que nous allons partager ensemble.
Pour situer l’échange que nous allons avoir, nous souhaitions à l’occasion des universités d’été, lancer un chantier que nous attendons tous avec impatience et que nous souhaitons poursuivre jusqu’en 2023, date de la prochaine mandature de notre conseil. Ce chantier sur l’enseignement supérieur, nous le voulons dans la diversité de ce qu’est l’enseignement supérieur. Dans ses différences, dans ses similitudes, dans ses innovations et ses difficultés afin de proposer une nouvelle réflexion stratégique pour un enseignement supérieur accessible dans toutes ses dimensions. Pour démarrer, nous avons réuni ce premier panel de partenaires pour échanger, débattre ensemble. Les constats sont connus, partagés et parfois ressassés, aurait-on tendance à dire. Une hausse quantitative remarquable dans le monde étudiant en situation de handicap, mais un budget identique depuis 2007. Une diversification des profils d’étudiants qui arrivent dans le supérieur, mais une réponse quasiment unique : le ou la preneur de notes. Des outils, des ressources multiples, des formations, mais des parcours qui montrent encore une adéquation forte entre le parcours des étudiants en situation de handicap et leurs types de troubles. Si des efforts indéniables sur la mise en système de l’accueil et de l’accompagnement sont actuellement mis en place, les étudiants disent encore ne participer aux activités liées à la vie étudiante et de campus. Enfin, des travaux de recherche menés en 2017 ont souligné une contradiction inattendue entre le haut degré de satisfaction vis-à-vis des aménagements mis en œuvre et l’importance des étudiants qui font part de leur expérience de limitation qui perdure malgré la mise en œuvre des aménagements. Les auteurs pour les citer conclus leur propos en indiquant « Ceci peut nous amener à penser que les jeunes, en affichant une satisfaction remarquable, manifestent ici une forme d’intériorisation, voire de banalisation des limites liées à l’environnement. » L’accessibilité de l’enseignement supérieur : mythe ou réalité ? C’est ce que nous allons voir avec Julien Thiery.
Julien, par rapport à ces éléments dressés, accord, désaccord, est-ce que cela vous parle ? À partir de votre expérience, qu’est-ce qui pourrait vous sembler déterminant sur cette question de l’accessibilité de l’enseignement supérieur ?
Julien Thiery : Bonjour. Merci pour l’invitation. C’est un honneur d’être présent pour vous donner mon témoignage sur les observations qui ont pu être faites. Je vais les reprendre point par point afin d’être précis et de faire cours le plus possible. Sur le budget ministériel, quand on souhaite adapter un minimum l’accès à l’enseignement supérieur, la première chose nécessaire, c’est d’avoir le budget en conséquence. Ce n’est pas le cas depuis de nombreuses années. Malheureusement, je ne suis pas sûr que beaucoup de personnes en situation de handicap puissent changer cela. Cela dépend d’une politique nationale. Concernant l’aide à l’enseignement supérieur, notamment la prise de notes, il est vrai que c’est quasiment la seule réponse proposée par les universités dans le cadre d’une aide au suivi du cursus. Pour autant, je ne suis pas certain que les universités elles-mêmes puissent faire autre chose pour les étudiants en situation de handicap. Je vais détailler très simplement, vous arrivez à la fac, vous êtes en situation de handicap au sens large, ça inclut le handicap physique et mental, vous avez des difficultés à prendre vos cours. Vous allez voir la Mission handicap, vous prenez un rendez-vous et on vous attribue un preneur de notes. Jusqu’ici pas de problème, mais à titre personnel, la plus grosse difficulté pour un étudiant en situation de handicap, c’est le temps.
Je vais illustrer ça avec un exemple. Vous commencez vos cours, deux semaines après, les travaux dirigés commencent. Cela implique beaucoup de devoirs à rendre, mais vous n’avez toujours pas de preneur de notes, car ça demande du temps pour la Mission handicap. Il faut trouver un étudiant qui soit d’accord pour faire ça et il faut l’embaucher. À partir de là, vous avez déjà un problème pour l’étudiant qui est de récupérer les cours avant que les TD commencent. Je précise que ce n’est absolument pas la faute des Missions handicap. Ils ont aussi un process à respecter. Cependant, dès la première semaine d’université, l’étudiant aura déjà des difficultés pour avoir les cours. Evidemment, si vous allez voir le professeur, il ne va pas vous refuser de vous donner un cours ou pour que vous puissiez l’enregistrer. Ensuite, il y a un autre point plus compliqué lié à l’état de santé de la personne en situation de handicap, avec la présence d’une auxiliaire de vie. Cela n’est pas toujours toléré par l’université. Vous avez des contraintes liées à l’utilisation de la trachéotomie qui nécessite des soins particuliers. C’est difficile de lier ses soins avec le suivi d’un cursus. Pour autant, je ne suis pas sûr qu’il n’y ait pas de solution à ce problème. La crise sanitaire a été un exemple, tout le monde a été amené à utiliser pendant la crise sanitaire pour soit travailler à distance, soit étudier à distance. Même si c’était désagréable de suivre le parcours à distance, c’est la première fois que tous les étudiants français étaient mis au même niveau pour suivre les cours. Il y a plus de barrières pour les personnes en situation de handicap. Les personnes valides étaient sur les mêmes réalités. Peut-être que la crise sanitaire peut nous apporter un point de réflexion là-dessus pour les personnes en situation de handicap sui ne peuvent pas forcément accéder aux amphithéâtre ou aux salles de TD. Avoir cette option pour pouvoir suivre un cours, évidemment cela poserait plusieurs problèmes comme le droit à l’image, le fait de déposer son cours et le risque qu’il n’y ait plus d’étudiants dans amphithéâtre. Mais c’est peut-être une piste de réflexion. Effectivement à l’heure actuelle, la seule réponse donnée par l’université pour un étudiant en situation de handicap est le preneur de notes. Un autre point, c’est les formations des outils, des ressources multiples. Et qu’il y a une adéquation entre les étudiants et leurs types de troubles. Quand vous apportez une réponse unique qui est le preneur de notes, ça ne correspond pas à tous les types de handicaps. On va généralement se retrouver avec une réponse non adaptée pour la personne qui arrivait dans ses études. À titre personnel, étant myopathe, un preneur de notes est indispensable. Pour autant une personne qui souffre d’autres troubles mais qui peut prendre ses notes aura besoin d’un autre type d’aide. Ça demande une réflexion au niveau des universités elles-mêmes. Reste à savoir comment les adapter au plus grand nombre.
Concernant l’accueil des étudiants par le personnel universitaire et les professeurs, je n’ai jamais rencontré de difficultés par rapport à ça. La plupart des professeurs que j’ai eus à côtoyer ont toujours été très ouverts aux questions du handicap. Ils n’y sont pas forcément formés, c’est un regret de ma part. La myopathie, ils connaissent le nom, ils connaissent un peu le Téléthon mais ils ne connaissent pas ce handicap. Je ne leur en veux pas. Ils ne sont pas forcément confrontés à ces handicaps régulièrement. Même s’il y a de plus en plus d’étudiants en situation de handicap, ça reste une proportion faible par rapport aux étudiants valides.
La plupart des professeurs sont très ouverts sur la question du handicap et demandent à être formés par rapport à ça. Quand on parle de sensibilisation au handicap à l’université, j’avoue ne pas avoir beaucoup de retours par rapport à ça concernant mon université, car je ne connais même pas sa politique sur le handicap. Mais je ne doute pas qu’elle en ait une. Mais c’est dommage que beaucoup d’universités en France ne mettent pas plus en avant leur politique du handicap. Les étudiants ont aussi une méconnaissance du handicap en général. Je suis certain que certains souhaiteraient avoir plus d’information pour savoir comment interagir avec les personnes.
On parle aussi dans ce rapport de l’accès à la vie étudiante pour les personnes en situation de handicap. Le handicap fait encore peur. Les étudiants ne savent pas forcément comment réagir quand vous avez une personne en face de vous qui a une trachéotomie, qui est en fauteuil roulant, qui a des troubles mentaux. Les handicaps sont très variés. Si vous arrivez à sensibiliser les étudiants, par définition l’accès à la vie étudiante sera plus facile. Je vais prendre un exemple concret, vous arrivez en début d’année, tous les professeurs se présentent, les associations aussi. On vous dit que la soirée d’intégration se fera dans la boîte de nuit du coin. Je pense que tout le monde a été une fois dans une boîte de nuit. Je vous laisse imaginer la galère si vous êtes en fauteuil roulant pour vous déplacer à l’intérieur. Cette question soulève une question générale, c’est celle de l’accessibilité. Si vous adaptez les lieux de vie aux étudiants, les personnes en situation de handicap auront forcément plus de facilités à accéder aux étudiants. Les événements ne sont pas forcément pensés pour les personnes en situation de handicap. Les associations ne sont pas à blâmer. Parfois, elles ne savaient même pas qu’il y a un étudiant en situation de handicap dans leur promo. C’est regrettable qu’à la rentrée à côté des professeurs, des associations d’étudiants, Il n’y a pas les personnes en situation de handicap qui viennent se présenter le premier jour à la fac. Je vais terminer sur la citation, car ça fait déjà presque cinq minutes. Sur la citation de Brisset et Leroux, j’ai envie de dire que la contradiction en elle-même ne me choque pas et elle ne choquera pas beaucoup de personnes en situation de handicap, car elle est avant tout la mise en lumière d’un constat qui relève presque d’une question philosophique qui est celle de la résignation. Aujourd’hui, beaucoup d’universités proposent un accompagnement et des aides pour les personnes en situation de handicap qui voudraient suivre un cursus. Le problème, c’est que ces élèves, le problème reste que ces aides ne sont pas forcément suffisantes. Qu’il faut une politique nationale pour que le personnel universitaire puisse faire son travail convenablement et de manière efficace. Le problème, c’est que cette résignation, elle vient aussi du fait qu’en France, bien qu’il y ait beaucoup de lieux adaptés, c’est loin d’être suffisant. Je pense que beaucoup de personnes en situation de handicap ont assimilé le fait que l’accès à l’enseignement supérieur, c’est au minimum aussi difficile que de vivre sa vie tous les jours, en France, en tant que personne en situation de handicap. Les efforts sont constatés mais est-ce que c’est suffisant ? La question peut être posée.
Marie-Pierre Toubhans : Merci, Julien de rebondir sur les premiers propos. On a entendu la question du temps, de l’anticipation, des situations partagées au regard de la crise sanitaire. Et plus globalement, l’accessibilité dans toutes ses dimensions, y compris les temps de vie étudiante. Je vais passer la parole à Margaret Kopoka. Vous avez terminé vos études il y a quelques années, comment est-ce que vous regardez votre parcours étudiant, votre vécu d’étudiante ? Vous reconnaissez-vous dans les propos de Julien, sur cette dimension qui concerne une forme de résignation ?
Margaret Kopoka : Merci. Je me reconnais dans les propos de Julien. J’insiste vraiment sur l’importance de rendre l’accessibilité universelle. Si on pouvait créer des campus universellement accessibles à tout le monde, la vie des personnes serait plus facile sur le campus. Mon dernier diplôme, je l’ai eu à l’INSHEA, sur une colline où il faut monter et descendre à chaque fois qu’il faut changer de classe. C’est difficile pour les personnes en situation de handicap. Que ce soit pour les handicaps en fauteuil roulant ou des handicaps visuels, c’est un lieu où il faudrait plus d’accompagnement humain pour pouvoir se déplacer d’un lieu à un autre pour vraiment que le cours soit vraiment accessible.
C’est une chose de pouvoir accéder au lieu et une chose de pouvoir accéder vraiment au contenu de la formation. C’est ce que disait Julien tout à l’heure. Il faut vraiment adapter l’enseignement pour que les personnes qui sont en situation de handicap puissent vraiment participer au même titre que les autres. C’est ce qu’a dit Julien aussi sur l’accessibilité aux événements, par exemple le soir, c’est très difficile, car cela se passe dans des lieux où on n’aurait jamais pensé qu’une personne en situation de handicap pourrait avoir envie d’aller. L’autre chose qui m’a frappée pendant mes études, c’est que nous sommes dans une société qui a accepté de nous inclure. Je n’aime pas le mot « inclusion », car nous sommes là. Je voudrais bien qu’on passe à une société qui prenne plus soin, que nous prenions soin les uns des autres, au sens du « care ». L’inclusion peut être très violente pour la personne. « Tu es inclus dans le système, dans la classe, mais débrouille-toi. » Il faut faire face pour suivre comme les autres. J’ai beaucoup compté sur la solidarité. Déjà, depuis que je suis petite. Si on ne vient pas d’une famille très solidaire, qui t’accompagne beaucoup on ne peut jamais faire des études. Il faut qu’il y ait une grande solidarité familiale pour arriver aux études supérieures. Et dans les classes, il faut une grande solidarité avec nos camarades de classe, pour pouvoir faire face et suivre. Il y a les portes qui sont difficiles à ouvrir, il y a les WC qui sont certes larges, mais qui ne sont pas vraiment adaptés.
Dans ces lieux, il n’y a pas de sonnettes, vous pouvez tomber dedans, toute seule, et attendre jusqu’à ce que la femme de ménage revienne le lendemain. Il faut avoir beaucoup de volonté et beaucoup compter sur les autres pour nous accompagner, pour nous aider. C’est ce que j’ai retenu de mes études. Aussi la difficulté de transports. Pour vous déplacer, pour aller sur le campus, c’est vraiment une galère pas possible.
Quand on dit que les études supérieures sont accessibles, oui, pour ceux qui ont une volonté de faire, ceux qui sont accompagnés et qui ont de la solidarité à côté d’eux, mais autrement, c’est vraiment très difficile. Je plaide pour une école qui inclue tous les enfants dès leur plus jeune âge, pour que les autres, Julien l’a évoqué, connaissent, n’aient pas peur de nous. Quand on grandit avec des personnes en situation de handicap, on sait que ce sont des personnes comme les autres. Même sur le campus, les autres peuvent venir vers vous, vous intégrer dans la vie du groupe. Ce n’est pas toujours évident quand on est en situation de handicap. J’ai eu la chance, après mes études de travailler à l’INSHEA, d’accompagner une jeune femme qui était non-voyante. Je l’accompagnais à la bibliothèque, je faisais la lectrice pour lire les livres pour elle qu’elle ne pouvait pas lire. Je l’accompagnais sur différents lieux du campus. Ça m’a aussi fait découvrir d’autres difficultés que je ne connaissais pas de ma situation de personne en fauteuil roulant. J’étais loin d’imaginer les difficultés de quelqu’un de non-voyant.
Je pense que beaucoup a été fait, que les profs ont été très sensibles et ont essayé de nous aider de toutes les manières, mais il y a une expertise qui a été évoquée par le collègue qui a parlé avant nous, qui est celle de la personne qui vit la situation et qui a des difficultés que les autres ne peuvent même pas imaginer. Pour réussir à ses études, je salue les professeurs qui nous ont accompagnés et mes camarades de classe. J’appelle à plus d’aide humaine sur les campus pour accompagner les personnes qui sont en situation de handicap. Merci.
Marie-Pierre Toubhans : Merci. Vous avez évoqué la question des savoirs expérientiels, de l’expertise, du soutien et de la solidarité, de l’articulation de différentes réponses à pouvoir apporter et de cette volonté de fer qu’il faut parfois avoir dans un environnement peu ou pas assez accessible. Je vais passer la parole à Éric Chenut. Vous étiez engagé et présent lors de la signature des chartes « université handicap et grandes écoles en 2007-2008 ». 15 ans après, quelle réaction ces interventions vous inspirent ? Quelle nouvelle forme d’engagement pourrait-on prendre ? Quels appuis possibles ? Car il y a des appuis possibles qui existent pour des étudiants en situation de handicap.
Éric Chenut : J’ai été présent au moment de la signature de la charte. J’étais même présent en 1995, quand, avec un certain nombre d’élus étudiants de la Mutualité étudiante, d’organisations représentatives des étudiants, on a décidé à Grenoble que ce n’était plus possible que les étudiants en situation de handicap galèrent autant. A l’époque, on était moins de 2500. Aujourd’hui, on est à 37 000. On ne peut pas dire que ça ne progresse pas. D’un point de vue numérique ça va mieux, mais c’était effectivement un combat de tous les instants. Ce qui me désole, c’est de voir que 25 ans après, 15 ans après la signature de la charte, c’est toujours une forme de parcours du combattant. On voit la différence entre les droits réels et les droits formels. L’effectivité des droits est extrêmement relative par rapport à la question de l’inclusion. Les universités se sont organisées, ont des Missions handicap, des équipes mobilisées, elles organisent mieux les choses. Mais pour autant, dans le quotidien que vivent les étudiants en situation de handicap, les difficultés sont nombreuses. Ils doivent encore aujourd’hui être les logisticiens de leur handicap. Julien y faisait allusion, la question du rapport au temps n’est toujours pas réglée, entre le temps institutionnel, le temps des procédures et le temps de l’étudiant, qui est le temps de l’immédiateté on a assez peu progressé.
Une dimension qui me semble importante, c’est peut-être mon point de vue aujourd’hui car je travaille dans le champ de la Mutualité et j’ai un regard assez aiguisé sur les questions de santé, les questions de santé mentale notamment, c’est la charge mentale qu’on impose aux personnes en situation de handicap en général, et aux étudiants en situation de handicap en particulier, qui doivent à la fois assumer la surcompensation liée au handicap. Mais en plus, ils doivent être les logisticiens, planifier, anticiper. Quand on est en situation de handicap, on ne peut rien laisser au hasard. Il faut prévoir les transports. On ne peut pas être dans la spontanéité. Il faut prévoir les aides humaines quand on en a besoin, les auxiliaires de vie. Il faut tout anticiper.
Cette double charge mentale, c’est quelque chose qui est assez peu pris en compte dans les plans d’aide et qui est assez peu appréhendé dans la parole publique. Je pense qu’aujourd’hui, 15 ans après la charte, 16 ans après l’adoption de la loi, il y aurait probablement besoin d’une vraie évaluation des politiques publiques qui ont été menées, qui sont en place, pour qu’on puisse avoir quelque chose d’opposable, portées par les inspections générales de de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche pour qu’on puisse avoir là où sont les points d’amélioration.
L’inspection doit regarder les procédures, ce qui est mis en œuvre, mais elle doit écouter les usagers, bénéficiaires. Il faut qu’on soit dans une évaluation participative, qui prenne en compte l’ensemble des parties prenantes, les enseignants, les preneurs de notes, les étudiants en situation de handicap. Il faut
qu’on puisse voir dans une démarche beaucoup plus participative comment évaluer ces politiques.
Il y a un autre élément sur lequel on n’a pas assez progressé. Tous les étudiants ne sont pas à égalité aujourd’hui. Quand on est en situation de handicap, quand on est sur des handicaps plus ou moins lourds, on n’a pas la même latitude de choix en termes de lieux universitaires où au peut poursuivre ses études, en termes de filières notamment sur les filières sélectives. C’est quelque chose qui n’est pas normal.
On est conditionné par rapport aux dispositifs mis en place par les services d’accompagnement, mais on est aussi conditionné dans son choix par rapport à l’accessibilité de la ville universitaire dans laquelle on va poursuivre ses études. Si on est sur des handicaps lourds, le choix se restreint. Plus le handicap est lourd, plus le nombre de possibilités de filières se restreint. En termes de rupture d’égalité, cela me semble inacceptable aujourd’hui. Il faut qu’on obtienne une égalité pleine et entière, mais effective.
Marie-Pierre Toubhans : Merci beaucoup d’avoir rappelé les problématiques d’être logisticien autour de son propre handicap. Une évaluation continue des politiques publiques qui doit pouvoir s’appuyer sur le vécu des personnes concernées, et d’avoir aussi évoqué la question de la charge mentale et de la double charge mentale. On aura l’occasion d’en rediscuter. Vous avez interpellé sur la question de la limitation du choix. Je vais passer la parole à Hélène Legault en termes d’information et d’accessibilité de l’information sur les métiers et les filières. Comment avez-vous réussi à construire des outils qui puissent être utiles pour les personnes en situation de handicap et les familles ?
Hélène Legault : Bonjour. On fait en sorte que malgré toutes les contraintes qui ont été évoquées, que ce soit le besoin de solidarité, que ce soit la charge mentale qui pèse sur les jeunes concernés et sur les familles, que ce soit également le besoin de temps, le rapport au temps qui doit être différent dans le champ du handicap. À l’Onisep, on a une double démarche pour que l’information, pour l’orientation soit accessible pour tous et utile à tous. Il y a un dispositif d’information très conséquent pour l’accès à l’enseignement supérieur. On s’aperçoit bien qu’il y a aussi une dimension psychologique. Il n’y a pas que, il y a besoin de soutien, de confort. La question de l’orientation n’est pas que dans le choix d’une filière ou d’un métier. On fait en sorte de mettre à disposition beaucoup de ressources, qui sont numériques pour la plupart, mais également des publications. Pour l’accès à l’enseignement supérieur, l’Onisep propose des sites qui sont dédiés à la réforme du lycée, que ce soit le site Terminale, Seconde, Première, Horizon 21 pour le choix des enseignements de spécialités, en essayant de découper les phases successives de choix et de détermination du parcours, pour permettre aux jeunes de trouver le parcours qui leur convient. Il y a des publications Objectif sup’, une collection qui s’intitule Dossier sur les filières d’enseignement supérieur, les parcours sur les métiers et les formations.
L’Onisep dispose également d’une base de données sur les formations pour la France entière. Cette base de données donne accès à tous les établissements de formation. Il n’y a pas toutes les informations qu’on pourrait espérer trouver sur l’accessibilité des établissements, mais en complément, le site de l’enseignement supérieur propose des informations sur l’accessibilité aux jeunes en situation de handicap des établissements d’enseignement supérieur. Avec la crise sanitaire et avec l’essor du numérique, il y a des ressources très précieuses également. Par exemple, c’est le cas des Moocs qui permettent de découvrir un secteur d’activité, découvrir l’écosystème universitaire et renforcer les compétences pour la réussite dans l’enseignement supérieur. Dans ces Moocs, les filières en tension font l’objet d’un point d’attention. Il y a tout un dispositif d’information existant sur l’orientation, qui ne résout certes pas les difficultés d’accessibilité, mais qui est ouvert à tous les jeunes.
Parallèlement, l’ONISEP a développé des supports d’information plus spécifiques que sont l’espace handicap du site de l’Onisep qui retrace le parcours de scolarité, de formation des jeunes en situation de handicap, les démarches, les acteurs, toutes les informations qui peuvent l’aider à construire son parcours. Cet espace est disponible dès la page d’accueil du site de l’Onisep. Ce qu’on a pu observer également au moment de la crise sanitaire, c’est qu’elle a renforcé, comme le disait Julien dans son témoignage, elle a mis chacun sur un pied d’égalité par rapport à l’outil numérique. Elle a également souligné le renforcement de nécessité d’autonomie. Ce n’est pas forcément évident pour tous les jeunes. On sait que construire un parcours d’orientation, c’est accéder progressivement à l’âge adulte, se faire accompagner et se faire aider pour le faire. Pour les jeunes en situation de handicap, c’est parfois plus difficile au vu des difficultés affrontées précédemment. On peut espérer que progressivement, de nouvelles formes d’accessibilité soient développées.
Marie-Pierre Toubhans : Merci. Des outils à transversaux et spécifiques. Et la question du passage à l’âge adulte et la question de l’accompagnement que vous évoquez. Sur la question du choix, Marie Piéron, on a évoqué la question des difficultés en termes de mobilité, de continuum de déplacement, d’environnement, d’accès à la culture, aux loisirs, aux boites de nuit. Comment est-ce que l’AVUF travaille là-dessus ?
Marie Piéron : L’AVUF qui est l’association des villes universitaires de France qui rassemble une centaine de collectivités qui se posent des questions là-dessus. Peut-être qu’on ne va pas intervenir directement sur les boîtes de nuit, mais pour ce qui est sur l’accessibilité de la ville, c’est une vraie question que se posent les collectivités territoriales. Chacune des collectivités va avoir une approche différente. Il n’y a pas une approche globale sur ces questions mais parce que les réalités ne sont pas les mêmes. Je pense à la métropole de Lyon qui va accueillir de nombreux étudiants à différents endroits et qui ne vont pas forcément se poser la même question que la ville de Redon en Ille-et-Vilaine qui va avoir un campus connecté et des BTS. Cela me semble être quelque chose d’important.
Avec l’AVUF, on se pose des questions sur comment favoriser les liens entre les universités et les collectivités territoriales. Sur la question de l’accessibilité, nous allons devoir la traiter. C’est une question importante. Comme Julien l’a dit, la vie des étudiants ne se résume pas à l’université. En tout cas il le faut. Les étudiants doivent pouvoir être intégrés, participer à la vie de la ville. Les collectivités territoriales peuvent diminuer cette charge mentale dont nous avons été plusieurs à évoquer.
Par exemple, en ayant par exemple une communication qui soit plus adaptée, pour savoir si tel équipement culturel est accessible. Pareil pour les équipements sportifs et pour toutes les actions que peuvent mener les municipalités et les autres échelons territoriaux. Ça me semble quelque chose d’important. Une autre chose sur laquelle les collectivités territoriales peuvent agir avec leurs partenaires de l’enseignement supérieur, et permise par la nouvelle loi de programmation de la recherche c’est le volet « sciences avec et pour la société ». Ce nouveau volet de la loi offre la possibilité aux collectivités territoriales et aux enseignements supérieurs de mener des formes de recherche participative. C’est important que d’entendre l’expertise d’usage des personnes en situation de handicap. Cette nouvelle loi et ses financements pourrait permettre notamment à des collectivités territoriales, avec des partenaires universitaires, de travailler sur l’évaluation des politiques publiques, de travailler sur des sujets politiques. À Évry, on a parlé du périmètre de marche, donc le périmètre de marche autour d’un de nos équipements public et l’idée c’est à partir des résultats de cette recherche d’améliorer l’accessibilité autour de cet équipement. C’est quelque chose qui est réplicable partout ailleurs. Voilà le message que je voulais faire passer. Les collectivités territoriales ont un rôle important qui doit se faire en lien avec les établissements d’enseignement supérieur. On sent que les choses évoluent dans le bon sens. À Évry, j’ai deux établissements d’enseignement supérieur sur les 15 qui sont présents qui m’ont contactée pour me dire qu’ils accueillaient des étudiants en situation de handicap. Une école supérieure du numérique qui accueille plus spécifiquement des étudiants avec un TND, on va pouvoir travailler avec eux pour essayer de voir comment on peut favoriser leur accueil au-delà de cet établissement, mais aussi dans les collectivités, pour que ce temps étudiant se passe mieux. Un point important aussi, à la suite des études, il va y avoir l’insertion professionnelle. Les collectivités territoriales ont aussi un rôle important à jouer en matière de développement économique. Plus forcément les communes, ça peut-être les intercommunalités ou la région. En favorisant un tissu local sur des domaines innovants, à ce moment-là, c’est aussi quelque chose qui peut contribuer à l’insertion des étudiants handicapés.
Marie-Pierre Toubhans : Merci beaucoup. On a pris de la hauteur. De l’établissement, on passe à la vie plus globale, à la ville. On discute aussi recherche participative, ce sont des éléments qu’on garde en note pour la suite. Cédric Villani, nous vous avons proposé de clore ce premier temps d’échange. Quels éléments de force, quels enjeux retenez-vous ? Quelles perspectives pouvez-vous nous proposer ?
Cédric Villani : Merci beaucoup pour cette invitation. Je suis fier de pouvoir participer à cette table ronde. Je remercie et félicite le CNCPH pour l’initiative et pour l’ensemble des actions menées.
Je voudrais à quel point cette question est importante pour moi, parce que l’enseignement supérieur, c’est l’une des voies de la société qui permet de se réaliser, de se dépasser, d’aller chercher les étoiles. Quand on parle de handicap, il ne s’agit pas seulement de donner aux uns et aux autres des outils pour survivre se débrouiller.
Il s’agit que les personnes aient toute leur place pour se dépasser, réaliser leur potentiel, pour arriver à influer, être acteurs de la société. L’enseignement supérieur a un avantage sur d’autres secteurs. L’enseignement supérieur a un avantage sur d’autres secteurs car c’est un sujet dans lequel dans notre Panthéon de héros il y a un certain nombre de grands scientifiques qui ont montré que malgré leur handicap, et parfois en s’appuyant sur leur handicap, ils ont pu réaliser des choses extraordinaires.
On pense tous à Stephen Hawking, parmi les mathématiciens on peut penser à Solomon Lefschetz amputé des deux mains, on peut penser au mathématicien aveugle Bernard Morin.
Je pense à des collègues de promotion à l’École normale supérieure, à Hatim Saad qui étaient en fauteuil roulant. Ce sont des profils de gens auxquels nous somment habitués, que nous avons pu trouver inspirants et qui doivent nous inspirer pour les actions en matière d’enseignement supérieur et de recherche. De cette table ronde, je vais insister sur trois lignes de force qui sont importantes. La première, c’est l’importance de penser globalement. Enseignement supérieur et handicap, on se dit qu’il faut une assistance pour les cours. En vrai, il faut une assistance pour beaucoup plus que ça. C’est une réflexion pour les lieux de vie, sur la participation, sur la société, le week-end d’intégration, la machine à café. C’est tout ce qui fait l’enseignement supérieur et la recherche sont pas seulement des cours et un lieu où l’on récupère des informations mais des lieux de vie et des communautés organisés dans lesquels il y a des liens à tisser. Dans lesquels les liens horizontaux sont au moins aussi importants que les liens verticaux entre le cours, l’institution, le professeur et l’étudiant. Ce besoin de penser globalement, ça veut dire un regard sur tous les actes scolaires et périscolaires, une réflexion avec les collectivités territoriales. C’est quelque chose qui doit se penser transversalement.
Le deuxième axe fort, c’est l’idée sur laquelle il y a des outils perfectionnés, technologiques, techniques. On l’a vu à travers l’intervention d’Hélène Legault et de Marie Piéron. Les plus gros enjeux ne sont pas forcément là. C’est autre chose qui est beaucoup moins tangible et beaucoup plus dans le lien, dans le social et le culturel qu’il est important de voir. Sur cette question des outils, je voudrais insister encore plus par rapport à ce qu’on dit les intervenants précédents, sur le développement d’outils qui sont impressionnants. Je parlais tout à l’heure d’Emmanuel Giroud d’un mathématicien non-voyant, avec ses petites réglettes qui étaient aménagées pour pouvoir communiquer avec un traducteur braille, c’était impressionnant ce qu’il arrivait à faire avec nous, par mail. Il prenait un malin plaisir dans ses messages des références à la vision : « J’ai vu ton message. Je vais regarder. On va voir ça ensemble. » La technologie lui permettait d’avoir accès à tous les articles, tous les livres. Il les lisait littéralement à travers des programmes OCR ou le logiciel LaTeX. C’était une révolution. On a des outils. Le gros enjeu est dans la connaissance humaine des uns et des autres. Julien Thiery a insisté là-dessus. Dès le plus jeune âge, il faut être accoutumé à travers les camarades de classe. Ça doit continuer sans arrêt, à tous les âges dans toutes les situations. Il faut avoir cette connaissance et ce respect, considérer la personne handicapée non pas avec pitié, mais avec fraternité, lui apporter des conseils, savoir la challenger en cas de besoin, participer à l’ensemble des tâches de la société. Je me souviens avoir été frappé quand dans mes responsabilités associatives, j’ai été président d’une association qui s’occupait de handicap, technologie et musique, en particulier travaillant avec du polyhandicap et les pensionnaires du cours Raphaël, voir à quel point les jeunes polyhandicapés se retrouvaient en situation à faire de la musique, à donner des concerts, à recevoir des cours. Je me souviens de cette vision du directeur du centre suite à l’une des représentations, challengeant ses pensionnaires atteints de handicaps très lourds : « Vous pouvez faire mieux. Soyez motivés. Demain, vous allez faire encore mieux. » Il leur a parlé comme un chef d’équipe. Ne cherchant pas à arrondir trop les angles. Cette notion de groupe dans lequel on doit participer, être ensemble, un projet collectif qui se joue au plus au niveau culturel que technologique, est fondamental.
Le troisième volet sur lequel je vais insister, dans la continuité de ce que disait Eric Chenut c’est la prise de responsabilités et de participation des personnes en situation de handicap. Ça va aussi dans le droit fil de ce que disait Madame Kopoka sur la façon de faire entendre et faire évoluer à travers la prise de parole, en faisant remonter les difficultés, en donnant son avis sur l’organisation, en s’installant dans la gouvernance. C’est important, dans une société qui doit bien se souvenir de ce qu’elle doit aux personnes en situation de handicap. C’est classique dans le domaine des technologies, un certain nombre de technologies ont été développés pour aider le handicap, qui se sont retrouvées à irriguer l’ensemble des acteurs de société. Je pense en particulier à des méthodes de lecture développées aidant des enfants dyslexiques qui se sont avérées être des techniques bien plus efficaces pour tous les jeunes. C’est important qu’on puisse mettre cette situation aussi dans une situation qui donne des consignes, qui participe à la gouvernance.
Je terminerai sur ce cas d’enseignement supérieur que j’ai pu côtoyer. Il m’est arrivé d’avoir des élèves de thèse en situation de handicap. Il m’est arrivé aussi d’être proche d’un jeune qui était atteint d’une forme sévère des os de verre. Il s’appelle Thomas Mordant. Sa mère a écrit un ouvrage sur lui. Il est devenu élève à l’ENS. Extrêmement brillant, profil qui s’est lancé dans les études mathématiques. L’ouvrage qu’a écrit sa mère, c’est un ouvrage pour dénoncer tous les obstacles que le système a pu mettre sur son parcours, avec les problèmes administratifs, les incompréhensions, l’absurdité qu’elle a pu rencontrer à bien des égards, les problèmes culturels aussi, mais aussi la façon dont ce parcours pouvait être extraordinairement inspirant.
Ça arrive que vous rencontriez des profils en situation de handicap qui se réalisent, qui ont une double dose de lumière qui se dégage, et des profils qui vous rendent heureux et qui vous font avancer vers d’autres projets, que ce soit scientifique, politique et culturel. Voilà ce que j’en retiens. Sans prétendre faire la synthèse exhaustive de tous les échanges, il me semblait que ces éléments, le fait de penser globalement et transversalement, le fait d’être en contact les uns avec les autres, que ça se joue énormément au niveau du respect de la perception, et le fait qu’il y ait la prise de responsabilité, et le devoir de donner des éléments de gouvernance aux personnes en situation de handicap, tout cela me semble fondamental pour la suite.
Marie-Pierre Thoubans : Merci à vous d’avoir été si inspirants. On a évoqué la question d’aller chercher les étoiles. Nous vous proposons, dans la continuité de cette table ronde, un entretien avec Stéphane Houdet, champion paralympique. Restez avec nous. C’est maintenant.